Cri du cœur d’une victime de l’effondrement du parc Miner

VÉCU. Le 15 juillet 2016, un arbre s’effondrait sur le chapiteau blanc érigé au parc Miner; à cette même seconde, le quotidien de nombreuses victimes venues y danser chavirait. Deux ans plus tard, l’une d’elles, Nathalie Gagnon, refuse que la tragédie soit reléguée aux oubliettes… ou qu’elle soit simplement classée dans la rubrique «faits divers».

Ce vendredi soir-là, la Magogoise de passage à Granby expressément pour pratiquer la salsa, son loisir de prédilection depuis deux ans, peine à trouver le parc municipal. Elle le repère enfin et se trouve déjà sous la grande tente depuis quelques minutes quand le grand peuplier cède. Le DJ venait tout juste d’annoncer qu’un cours de danse débuterait après la prochaine chanson.

«Si le chapiteau était tombé deux minutes plus tard, il y aurait eu des morts, c’est sûr», estime l’amatrice de soirées latines, qui se souvient que les membres de son groupe n’étaient pas encore tous arrivés.

Tout se passe en une fraction de seconde. «Je pensais que j’étais morte. J’étais en-dessous du chapiteau. J’ai été projetée et je suis tombée sur mon côté droit», se remémore la dame, dont le bras a été cassé à deux endroits. Celle qui s’est ensuite effondrée sortira de l’hôpital de Granby le lendemain de la tragédie.

Le retour à la maison ne sera toutefois pas de tout repos: impossible, pendant au moins deux mois, de simplement conduire sa voiture ou de travailler. Une pression financière s’ajoute au portrait: l’esthéticienne travaillant à son compte doit refuser des clients et contracter des dettes afin de traverser sans trop de heurts cette période éprouvante.

Si l’eau a coulé sous les ponts depuis, l’événement la suit encore à la trace. «À tous jours les jours depuis deux ans, je pense à ça. C’est quelque chose! […]Ça m’a amené un stress incommensurable. Ça ne s’explique même pas», confie celle qui n’a repris la danse que très récemment. Si Mme Gagnon ne peut évidemment parler au nom des autres victimes, elle sait qu’elles ont été, elles aussi, profondément marquées par l’événement.

«Je ne me suis pas mise en danger, moi. Je n’ai pas fait du ski alpin, je ne suis pas allée faire du parachute. Je suis allée danser dans un endroit payé et monté par la Ville. J’avais confiance. Aujourd’hui, je n’ai plus confiance», déplore-t-elle.

Nathalie Gagnon pense également très souvent aux danseurs et spectateurs qui se sont eux aussi retrouvés prisonniers des décombres du chapiteau. Toutes n’ont pas eu la même chance qu’elle; cette dernière cite notamment David Deslandes, cet «excellent danseur» que l’accident a laissé, à 41 ans, quadraplégique.

«Le chapiteau est tombé (et) il n’est plus jamais retourné chez lui. Je pense à lui plusieurs fois par semaine et je me compare en me disant que (ce que j’ai vécu), ce n’est rien. J’ai vraiment de la peine pour lui. […] C’est extrêmement grave, il a failli perdre la vie», plaide-t-elle.

Poursuite et impatience

Représentés par la firme granbyenne Archer Avocats, de nombreux demandeurs se disant victimes de l’effondrement du parc Miner réclament un peu plus de six millions $. Ils poursuivent la Ville de Granby, propriétaire des lieux et de l’arbre qui a cédé, ainsi que son sous-contractant Arboreco, qui aurait été mandaté de l’inspecter le mois précédent.

Mme Gagnon demande pour sa part 40 000 $, tandis que les réclamations varient entre 15 000 $ et 3,5 millions $, ce dernier montant étant revendiqué par M. Deslandes.

Nathalie Gagnon s’impatiente  visiblement de voir traîner en longueur  l’actuel processus judiciaire et attend de pied ferme un dénouement.  Pour elle, il est impératif que les victimes obtiennent réparation pour les torts subis ce soir de juillet.

«Tant et aussi longtemps que ce n’est pas réglé, c’est comme si on traînait un boulet, tout le temps.  Quand il y a quelque chose de judiciarisé, c’est dur pour le moral. On a beau dire qu’on n’y pense plus, ce n’est pas vrai. On y pense», exprime la Magogoise, qui craint qu’encore plusieurs mois ne s’écoulent avant qu’un verdict ne soit rendu quant à la responsabilité des défendeurs dans les événements.

«Abandonnée»

Nathalie Gagnon l’admet d’emblée; le ressentiment et la frustration l’habitent encore à ce jour. Si la maman de deux jeunes adultes a contacté de sa propre initiative le GranbyExpress afin de briser le silence, c’est qu’elle sent que le drame est en quelque sorte tombé dans l’oubli.

«On est traités comme si on était un fait divers. […]Est-ce qu’on peut avoir un peu de compassion?», déplore-t-elle, arguant ne pas avoir reçu la moindre empathie de la part de l’administration municipale depuis le drame.

«On n’a même pas eu une lettre. Ça ne coûte rien, faire ça», souligne-t-elle, ajoutant que des excuses n’auraient pas compromis le processus judiciaire en cours. «Il y a des victimes qui souffrent encore beaucoup et qui vont souffrir toute leur vie», rappelle-t-elle, disant se sentir littéralement «abandonnée».

Nathalie Gagnon sent le besoin de ramener le drame à l’ordre du jour, question d’éviter que d’autres aient à vivre une épreuve similaire. Elle veut aussi que l’événement, qui a défrayé les manchettes et marqué les esprits, soit reconnu à la hauteur de sa gravité. Qu’il soit, à l’instar des blessures subies, pris au sérieux.