Joanne Ouellette: la femme la plus heureuse du monde

PERSONNALITÉ. Si Joanne Ouellette n’a accouché que trois fois, elle compte à ce jour des centaines d’enfants. Celle que les personnes immigrantes surnomment «maman» distribue temps et amour, sans attente. Rencontrez, si vous ne la connaissez pas déjà, notre personnalité féminine de 2018: une grande dame qui a l’implication dans l’âme, le cœur à la bonne place… mais pas la langue dans sa poche!

La porte de la directrice générale de Solidarité ethnique régionale de la Yamaska (SERY) est toujours ouverte à quiconque a besoin d’aide ou d’une oreille attentive; tant et si bien qu’elle accepte d’emblée de rencontrer le GranbyExpress, et ce, bien avant de connaître le sujet de l’entrevue.

Assise à la petite table d’un café, la Granbyenne  l’admet: même si elle ne les recherche pas, des honneurs, elle en a reçu plusieurs depuis son arrivée au SERY, en 1998. Pas étonnant, puisqu’une part de l’immense succès que récolte à ce jour l’organisme dédié aux nouveaux arrivants, considéré comme un modèle en province, lui revient.

À l’origine l’une des deux seules employées sur place, elle dirige à ce jour  13 autres personnes, sans parler des bénévoles. C’est empreinte de fierté qu’elle constate tout le travail abattu par son équipe et la différence que le SERY, lancé en 1992, sème au quotidien.

Sa grande aventure à la barre de l’instance sera néanmoins bientôt racontée au passé: Joanne Ouellette tirera (du moins, théoriquement) sa révérence en juin prochain. Elle lance l’idée de devenir consultante à temps partiel pour l’organisation et d’emplir son horaire de bénévolat.

Chose certaine, alors qu’ils ont été très nombreux à la côtoyer tout au long de sa carrière, les immigrants demeureront au cœur de son quotidien. «Je ne pourrai jamais me passer d’eux autres. Jamais», lance-t-elle, tout sourire.

Une croisade pour la santé

Sa dernière année complète à la barre du SERY n’aura certes pas été de tout repos. La gestionnaire, en rémission d’un cancer diagnostiqué en mai 2016, a en effet fait les manchettes des médias granbyens. La battante, qui a l’habitude de dire tout haut ce que tout le monde pense tout bas, est littéralement montée aux barricades afin que soit évitée la fermeture de la clinique d’accès, qu’abritaient les locaux du SERY.

«Ça m’a interpellée. Ça fonctionnait bien, cinq jours par semaine. Il y avait tout le temps des gens. […] Notre monde qui arrive, qui n’a pas de médecin de famille, pouvait avoir des services. C’était une bonne solution pour eux et pour toute la population», plaide-t-elle.

Si Mme Ouellette s’avoue encore à ce jour «très amère» de la décision du Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux (CIUSSS) de l’Estrie-CHUS qui a maintenu le cap et déménagé  les services, à raison de trois jours par semaine, au CLSC Yvan-Duquette, Mme Ouellette ne regrette néanmoins  pas sa tentative. Élever sa voix au nom de ce qui lui tient à cœur fait partie de son ADN.  «Si je n’avais pas crié, dans ma vie, on n’aurait rien», lance celle qui s’est battue pour le rayonnement du SERY.

Les immigrants tatoués sur le cœur

Nouvellement débarquées en sol granbyen, les personnes immigrantes apprennent généralement l’adresse du SERY immédiatement après celle de leur nouveau foyer; elles y trouvent une deuxième maison. Pour elles, Joanne Ouellette n’est pas qu’une ressource professionnelle: la dame de 62 ans est devenue synonyme d’accueil.

«Aux débuts du SERY, on faisait vraiment de tout», se souvient-elle. La directrice raconte d’ailleurs, avoir assisté, dans ses premières années en poste, aux accouchements de deux femmes afghanes qui n’avaient personne aux côtés de qui vivre ce moment mémorable.

«Je vais toujours me rappeler du premier bébé qui est né. C’était un petit gars. Les larmes de joie me coulaient. Ils l’appelaient Naween. J’ai dit à la mère que je voulais que ce soit Nawin,  »W-I-N », que ce serait un gagnant», se remémore-t-elle.

Grand-maman huit fois, Joanne Ouellette a aussi été choisie marraine de deux enfants, l’un bosniaque et l’autre colombien. Pour elle, voir ces gens arrivés d’un peu partout dans le monde s’épanouir, réussir et se tailler une place dans sa ville natale demeure la plus belle récompense qui soit.

«Ils m’apportent du positif dans ma vie. Tous les jours, je rencontre des gens qui se sont battus pour se garder en  vie. Ils arrivent ici et ils ont encore le goût de continuer. Ils sont inspirants», fait-elle valoir.

Cette dernière aimerait d’ailleurs que tous voient ces gens venus d’ailleurs à travers ses propres yeux. S’il reste encore beaucoup de sensibilisation auprès de la population à faire, Mme Ouellette se sent d’attaque pour «contrer l’ignorance»: elle aimerait, une fois à la retraite, œuvrer auprès des industries afin de faciliter l’embauche d’immigrants. Écrire un livre sur son expérience fait également partie des plans de celle qui s’autoproclame, sans détour, «la femme la plus heureuse du monde».