Autodéfense en Jiu-Jitsu: l’art de tomber… et de se relever

REPORTAGE. Lorsque l’inconcevable survient, la défense est souvent la meilleure des attaques. C’est précisément ce que Kiril Goussev tente d’inculquer aux femmes affluant vers son école de Jiu-Jitsu, Gracie Barra Granby. Le GranbyExpress a pris part à une séance accélérée de son programme d’autodéfense pour femmes basé sur cet art martial d’origine brésilienne.

La journaliste et son chef de contenu laissent la hiérarchie et la rédaction de côté pour un temps: les deux collègues ont rendez-vous avec le propriétaire des lieux. L’entraîneur-chef tend le traditionnel kimono aux deux comparses qui ne savent que très peu à quoi s’attendre.

L’immense tapis bleu qui s’étend dans toute la pièce les accueille ensuite; il est coutume, par respect, de le saluer avant de le fouler et de le quitter. Or, ce dernier ne sera toutefois pas immédiatement l’hôte d’un combat.

Une personne se retrouvant au sol peut sans mal, en saisissant la cheville de son agresseur et en lui faisant un crochet à l’aide de son pied, le faire chuter.

Après un réchauffement classique, le duo apprend d’abord, stupéfait, à… tomber! «Dans un vrai combat, à 99 % du temps, quelqu’un va tomber et se retrouver au sol. Toutes les techniques que l’on pratique debout deviennent inutiles. Les femmes trouvent souvent cela étrange, mais il faut d’abord savoir comment bien tomber», explique M. Goussev.

Se dégager et se relever en sécurité constituent les prochaines étapes: en ce sens, deux techniques, dont l’une est surnommée «la crevette», laissent les deux apprentis tout aussi perplexes lorsqu’elles leur sont ensuite enseignées.
Oubliez les coups de pied dans les parties génitales ou coups de poing dans la gorge. L’idée derrière le Jiu-Jitsu n’est pas d’asséner des coups, mais bien d’arriver à maîtriser l’autre. C’est avec des mouvements corporels peu courants que l’on parvient ici à créer des torsions douloureuses chez l’opposant ou encore à lui faire perdre l’équilibre.

«Il y a différents degrés de violence en fonction du contexte, que l’on parle, par exemple, d’un collègue qui est trop insistant dans un party de bureau ou d’un inconnu qui nous agresse par-derrière», admet celui qui a pendant longtemps, alors qu’il vivait encore en Bulgarie, pratiqué le Sambo russe.

Être l’agresseur… et la victime

Une fois ces mouvements inhabituels assimilés, le clou du spectacle s’en suit. Avec diverses simulations, l’instructeur enseigne à la journaliste comment se sortir d’une situation critique pour sa vie ou son intégrité physique. Dès lors, les apprentissages précédents prennent tout leur sens.

Se faire prendre à la gorge contre un mur, se faire attaquer et traîner vers l’arrière par un attaquant plus fort, se faire immobiliser au sol par un agresseur ou se faire tirer brusquement par le bras: voilà quelques-unes des mises en contexte dans lesquelles les deux participants sont tour à tour plongés, tantôt dans le rôle de l’agresseur puis dans celui de la victime.

Kiril Goussev demande à la journaliste de l’attaquer pour lui montrer de quelle manière se dégager. La douleur causée par la torsion des bras se fait rapidement intolérable.

La force ne pèse en rien dans la balance; la journaliste le constate rapidement en voyant son professeur d’un jour faire basculer, sans le moindre effort, son patron… pourtant bien plus lourd! «Quand les techniques marchent, il y a comme une sorte d’euphorie, spécialement quand c’est contre une personne plus grande et plus forte», avoue celui qui est déjà lui-même parvenu à maîtriser un bodybuilder.

Lorsque la douleur est trop intense, la victime doit frapper au sol avec sa paume ou utiliser le mot-code «tape» pour commander à son adversaire de lâcher prise. Il est impératif de respecter ses limites, au risque de briser ce précieux «lien de confiance» tissé avec lui.

Si le Jiu-Jitsu constitue un mode de vie et un sport qui peut être pratiqué de façon compétitive, ses bases sont enseignées aux femmes via un tour d’horizon de trois séances, afin qu’elles soient à même de réagir rapidement en cas de besoin. Une dizaine de techniques différentes leur sont apprises. Toutes ces astuces ne seront néanmoins pas retenues par les principales intéressées, admet l’entraîneur.

Mais comme à l’époque où il travaillait dans le domaine des assurances, l’homme à la ceinture brune qui pratique cet art martial depuis six ans veut d’abord que ses clientes sachent se prémunir contre le pire des scénarios. «Je mets beaucoup d’emphase sur l’attaque par derrière et sur le «choke» dans la position d’agression sexuelle. Ce sont les deux pires cas», estime-t-il.

Pour toutes les femmes

Si les deux membres de l’équipe du GranbyExpress se prêtent aisément au jeu, il n’en est pas ainsi pour toutes les femmes s’étant jusqu’ici présentées chez Gracie Barra Granby. Il est néanmoins nécessaire que celles qui ont été confrontées à un épisode de violence physique et/ou sexuelle aient effectué un certain cheminement psychologique avant de se lancer, la proximité physique nécessaire à l’apprentissage pouvant s’avérer intolérable.

Dans pareilles circonstances, M. Goussev n’hésite pas à laisser son rôle d’agresseur de côté. «Ma femme et mes deux filles m’aident beaucoup pour mes cours. Moi, je ne toucherai pas une femme qui a déjà été abusée. […] Le maître, dans le programme Gracie Barra, prévoit toujours une formatrice féminine», explique-t-il.

Précisons que l’accessibilité à ces leçons pourrait être encore plus grande pour les victimes puisque le centre, qui a ouvert ses portes l’automne dernier, souhaite éventuellement dispenser des classes dont le coût d’inscription serait défrayé par l’IVAC, un programme d’indemnisation aux victimes d’actes criminels du provincial.

Selon l’école de pensée de Gracie Barra, les opposants doivent se faire un signe de la main pour se rappeler que leur relation en est d’abord une positive et conviviale en dehors du combat.

Le programme d’autodéfense ne s’adresse néanmoins pas exclusivement aux victimes, précise l’entraîneur: «Notre but, c’est d’être proactif, d’aller chercher les jeunes filles et les femmes qui n’ont pas vécu une mauvaise expérience pour qu’elles soient prêtes si ce moment arrive».

Kiril Goussev prévient également les futures participantes: il faut à tout prix, avec une formation en poche, éviter de se sentir invincible. Quelques heures d’autodéfense, rappelle-t-il, ne valent pas une pratique assidue de Jiu-Jitsu. Au lendemain de sa leçon privée, ce n’est néanmoins pas le sentiment qui habite l’auteure de ces lignes: légèrement courbaturée, elle a plutôt une sincère pensée pour celles qui sont mal tombées… sans se relever.

Pour plus d’information, visitez le www.gbgranby.ca ou la page Facebook Gracie Barra Granby.

Ce reportage a été réalisé avec la collaboration d’Éric Patenaude, chef de contenu du GranbyExpress.