Crise de la main d’oeuvre dans le milieu communautaire: un portait plutôt sombre en Haute-Yamaska

SOCIÉTÉ. La saignée continue et risque de continuer dans le milieu communautaire devant la crise de pénurie de main-d’oeuvre au sein des organismes de la Haute-Yamaska. Près de 93 % des répondants sondés récemment par la Corporation de développement communautaire de la Haute-Yamaska (CDCHY) se disent préoccupés par la rareté de personnel. Pour certaines organisations, il est déjà minuit moins une, déplorent à l’unisson des intervenants dépassés par la problématique des ressources humaines.

C’est du moins ce qui ressort d’une enquête menée, l’automne dernier, par le Comité pénurie de ressources humaines de la CDCHY sur la situation de la main-d’oeuvre dans le communautaire auprès de 38 répondants. Rendue publique, ce mardi, l’étude dépeint un portrait plutôt alarmant et sombre des impacts de la rétention des travailleurs dans le milieu communautaire. Selon le coup de sonde réalisé par le Comité, 71 % des organismes répondants estiment avoir des besoins actuels de recrutement. Et pour une grande majorité d’entre eux (64,5 %), ils ont très peu d’espoir de pourvoir les postes vacants. 

«On sait que la pénurie des ressources humaines affecte tous les secteurs d’intervention. Dans le milieu communautaire, on les voit les grands impacts. Et le but de la démarche (étude), c’était de se mobiliser pour pouvoir poser une action lors de notre assemblée générale annuelle. On se doit de bouger dans ce dossier-là, car ça nous affecte de plein fouet et nos organismes sont pris au dépourvu», a indiqué le directeur général de la CDCHY, Nicolas Luppens.

Manque de personnel qualifié, coupure de services ou d’activités, épuisement, salaire non compétitif, départ de travailleurs vers le privé ou le public, absence d’assurances collectives. Déjà écorché par le sous-financement, le milieu communautaire peine à se sortir de la crise de main-d’oeuvre alors que la pandémie sévit toujours. «Ce qu’on retient des données, c’est que le défi de recrutement et de rétention de personnel qualifié est intimement lié aux conditions salariales non compétitives avec les autres secteurs», a mentionné Marie-Ève Théberge, de l’Auberge sous mon toit et membre du Comité de pénurie de ressources humaines.

D’après les conclusions de l’étude, 92,5 % des répondants offrent un salaire plancher (le plus bas de l’échelle salariale) de 22,99 $ de l’heure et moins. Un taux horaire inférieur comparativement aux conditions offertes par le réseau public ou le privé alors que les emplois du communautaire exigent aussi des formations collégiales et universitaires. Toujours en lien avec la question de la rémunération, 77,5 % des répondants ont avoué que les salaires étaient peu ou pas compétitifs face au marché de l’emploi.

«C’est pas avec un salaire de 18,71 $ de l’heure, de nuit, qu’on va attirer des gens sur nos quarts de travail», a a ajouté Mme Théberge en faisant référence aux défis qu’a dû faire face le Centre de prévention du suicide de la Haute-Yamaska (CPSHY) qui a été contraint de réduire ses heures d’ouverture en août dernier.

«Ça rend impossibles la rétention des employés et le maintien et le développement de l’expertise. On investit beaucoup et tout d’un coup, ils partent; ce qui crée beaucoup de stress et de fatigue dans les équipes (…). On ne peut répondre à notre mission au point où des organismes ont créé des listes d’attente ou coupé des heures. Ça amène une baisse de la qualité des services qu’on est habitué à rendre et ça fait qu’on ne répond plus aux besoins de nos communautés», a évoqué Anne Jutras, directrice générale au CPSHY.

L’heure des choix

Face à une montagne de défis, des organismes se voient désormais dans l’obligation de revoir leur mode de fonctionnement. C’est le cas chez Divers-Gens, dont la mission est d’éduquer et de sensibiliser le public sur les enjeux LGBPTQIA2+.

«On est deux à l’organisme avec une seule ressource qui gère les interventions. On observe une explosion des demandes puis là on est en train de se demander: est-ce qu’on va mettre une liste d’attente en place? Ce constat, on l’a fait parce qu’au cours des trois derniers mois les demandes équivalaient aux demandes de l’année passée», a raconté Johanna D’Imperio, chargée de projet chez Divers-Gens.

Même son cloche du côté de l’Auberge sous mon toit qui accueille des hommes en difficultés situationnelles. L’organisme a été obligé de retrancher trois lits faute de personnel durant près d’un an. Et la situation ne s’est guère améliorée. Depuis la fin janvier dernier, ce sont 17 hommes en attente d’un lit qui ont vu leur nom être inscrit sur une liste d’attente,  soutient la directrice générale de l’organisme, Marie-Ève Théberge. 

Des solutions

Pour renverser cette tendance, la CDCHY et ses membres invitent, entre autres, Québec à revoir l’enveloppe budgétaire consacrée au communautaire. Une demande soutenue par le Regroupement québécois de l’action communautaire autonome qui réclame 460 M$ du provincial afin d’appuyer les 4000 organismes communautaires. Nicolas Luppens, de la CDCHY, reconnaît qu’un premier pas a été fait avec les 110 M$ réservés pour le communautaire dans le dernier budget Girard, mais c’est bien peu, estime-t-il. Selon le Comité, le manque à gagner par organisme serait de 130 000 $ en Haute-Yamaska.

Outre un meilleur financement, le Comité propose aussi une série de solutions «locales» aux organismes, dont le partage de ressources, le lancement d’une campagne de notoriété et un meilleur référencement entre organismes.