Des matières dangereuses transitent incognito dans les tunnels

Sans que vous le sachiez, des matières dangereuses pourtant formellement interdites circulent régulièrement dans l’un ou l’autre des tunnels de la région de Montréal, a appris TC Media. Voulant s’éviter un long détour, des camionneurs défient la Loi, mettant du même coup en péril la vie du public, s’inquiètent une kyrielle d’intervenants.

«Les chauffeurs nous le disent. Ils arrêtent à la halte routière sur la 40, enlèvent leurs placards (ces plaques de couleur rouge apposées sur les quatre faces d’un poids lourd identifiant le type de matières dangereuses transportées), passent le tunnel (Louis-Hippolyte-La Fontaine) et arrêtent plus loin pour les remettre», raconte Patsy Guérette, contrôleur routier et agente aux relations publiques du Contrôle routier du Québec (CRQ) en Montérégie.

Une simple opération de surveillance effectuée le 5 décembre dernier aux abords du tunnel Louis-Hippolyte-La Fontaine a permis à elle seule d’épingler trois conducteurs qui circulaient avec des matières dangereuses prohibées dans le pont-tunnel sur 37 véhicules inspectés.

Dans la région de Montréal, le tunnel Louis-Hippolyte-La Fontaine ne serait pas le seul endroit où certains camionneurs feraient preuve de témérité. «Pour ce qui est des tunnels Ville-Marie et Viger, c’est une situation qui peut avoir lieu. Est-ce fréquent? Est-ce monnaie courante? Je ne peux vous répondre, mais je sais que ça arrive. Il y a des gens qui ont déjà été pris parce qu’ils n’avaient pas apposé leurs placards», Patrick Vandal, contrôleur routier et agent aux relations publiques pour le CRQ de Montréal.

Entre le 1er janvier 2010 et le 29 novembre 2013, pas moins de 529 constats d’infraction visant des matières dangereuses ont été émis par les contrôleurs routiers de la Montérégie. Pour les régions de Montréal, Laval, Laurentides et Lanaudière, les agents du CRQ ont vérifié 1 269 transports de matières dangereuses en 2012 et 2013. De ce nombre, 408 constats d’infraction ont été émis. Dans l’ensemble du Québec, les constables ont délivré 2 075 billets d’infraction en lien avec des matières dangereuses pour la période comprise entre janvier 2010 et le 13 décembre 2013.

Conséquences désastreuses

En prenant ces raccourcis prohibés, les camionneurs délinquants exposent le public à des dangers importants. «Un incendie dans (un) tunnel peut être catastrophique, pas nécessairement pour les flammes, mais pour la fumée. À l’heure de pointe, au volume de véhicules qu’il y a, si les gens ne voient plus rien, c’est fini. C’est hyper dangereux», poursuit l’agente Guérette.

Informés par TC Media de cette problématique, tant le Service de sécurité incendie de l’Agglomération de Longueuil (SSIAL) que le Service des incendies de Montréal s’inquiètent.  

«Ce n’était pas connu, mais je ne suis pas surpris parce qu’il y a plein de règlementations ou de lois au Québec qui ne sont pas respectées. C’en est une de plus, mais ce n’est pas supposé se faire, c’est bien évident», lance Alain Chaussé, chef aux opérations, responsable de la formation recherche développement des équipes spécialisées au Service des incendies de Montréal.

Même si les pompiers mettent régulièrement à jour leurs plans d’intervention pour les tunnels, en plus de suivre des formations en ce sens, il n’en demeure pas moins que les placards sont d’une réelle importance pour eux.

«L’approche est très différente lorsqu’on fait face à un véhicule qui a un placard nous indiquant qu’il transporte des matières dangereuses que d’un véhicule qui n’en a pas», explique Daniel Lemonde, chef de division au SSIAL.

«Le placardage est un des huit indices (permettant de connaître la nature d’une intervention). Avec un placard, la recherche se fait plus rapidement et on est en mesure de répondre plus rapidement. C’est sûr que le type de réservoir est une indication aussi, mais le placard n’est pas là pour rien. Il est super important», poursuit Alain Chaussé.

Opération Rayon X

Pour décourager ces cowboys de la route, le CRQ, en Montérégie, a mis au point l’opération Rayon X. Le but? Détecter la présence de matières dangereuses prohibées et punir les coupables. «On utilise notre pouvoir d’inspection sans mandat pour cibler les véhicules avec un potentiel de matières dangereuses, explique Patsy Guérette. Comme il y a des compagnies qui enlèvent leurs placards, on ouvre l’espace de chargement et on peut y trouver des matières dangereuses.»

«On veut créer un effet de crainte de la part des transporteurs. On veut que les transporteurs, même en enlevant leurs placards, aient peur de passer au tunnel», renchérit-elle.

Et les amendes pour ces délinquants sont salées. Un chauffeur surpris avec des produits prohibés dans le tunnel qui passe sous le Fleuve St-Laurent risque un constat d’infraction de 502$ assorti de neuf points d’inaptitude. De plus, une contravention de 258$ est également émise en l’absence de placards. L’exploitant s’expose aussi à un ticket de 990$.

Une problématique inquiétante

Malgré la surveillance en place, notamment via la vidéosurveillance de la Société de l’assurance automobile du Québec, la Ville de Longueuil se dit préoccupée par le passage de véhicules transportant des matières dangereuses dans le pont-tunnel, qui relie la métropole à la Rive-Sud. «C’est pourquoi nous avons sensibilisé le ministre de la Sécurité publique, Stéphane Bergeron, à cette situation et lui demandons d’intervenir pour assurer une meilleure surveillance. Entretemps, s’il advenait un accident, le service d’incendie de l’agglomération a une entente d’intervention et un plan d’urgence et est prêt à intervenir dans le cas d’un déversement par exemple avec la collaboration de la Ville de Montréal», a réagi, par courriel, Caroline St-Hilaire, mairesse de Longueuil et présidente de l’Agglomération de Longueuil. 

Le maire de Montréal, Denis Coderre, a souligné la nécessité pour les municipalités de connaitre les matières dangereuses qui transitent sur leur territoire et d’avoir les règlements nécessaires pour se protéger en cas de catastrophe. Les autorités montréalaises sont au courant du problème des camionneurs qui transportent des matières dangereuses dans les tunnels de la métropole. C’est l’un des volets de la vaste réflexion sur les transports des matières dangereuses, initiée dans les différents regroupements de villes, à laquelle Montréal participe.

À Boucherville, on qualifie cette situation «d’inquiétante» mais on s’en remet aux autorités compétentes pour pallier à cette problématique.

TC Media a également tenté de joindre Réal Ménard, maire de l’arrondissement Mercier-Hochelaga-Maisonneuve. Il n’a pas répondu à nos demandes d’entrevues répétées.

Dans un tunnel, comme Louis-Hippolyte-La Fontaine, il est permis de transporter un maximum de :

_ 30 litres d’essence

_ 500 kg de chlore

_ Deux bonbonnes de propane d’une capacité maximale de 46 litres chacune.

(Source : Contrôle routier du Québec)

 

Les tunnels du Québec

_ Louis-Hippolyte-La Fontaine (Boucherville à Montréal)

_Ville-Marie (Montréal)

_Viger (Montréal)

_Joseph-Samson (Québec)

_Voie d’accès au tunnel de Melocheville.

(Source : Contrôle routier du Québec)