Jacques Viens peut aujourd’hui tourner la page

À 50 ans, Jacques Viens peut enfin se libérer des événements dramatiques qui l’ont suivi toute sa vie. L’homme d’affaires de St-Paul-d’Abbotsford touchera d’ici quelques jours une indemnité de la Congrégation de Sainte-Croix en reconnaissance des souffrances que lui a infligées un de ses professeurs alors qu’il n’avait que treize ans. Agressé à plusieurs reprises par un frère du collège Saint-Césaire, M. Viens croit qu’il pourra désormais déposer toute l’amertume accumulée au fil des ans et «arriver à survivre à tout ça».

Derrière son bureau, le propriétaire de Can-Bec Immobilier semble confiant. S’il est nerveux, il le cache bien. « Dans la vie, quand il y a des événements marquants qui arrivent, on se rappelle toujours ce qu’on faisait à ce moment-là », commence-t-il, d’une voix calme. « Le 11 septembre 2001, tu te rappelles où tu étais. Moi, c’est la même chose. Quand j’ai entendu Benoît Dutrizac à la radio parler d’un recours collectif contre les frères de Sainte-Croix, j’étais en voiture. J’ai tout de suite arrêté mon auto pour l’écouter.»

À l’époque, celui qui est papa de trois filles venait de faire son coming out et de compléter deux ans de thérapie. «Ça a été une décision dure à prendre, de faire partie de ce recours-là. J’ai recommencé à consulter et j’ai dû rebrasser des souvenirs que j’avais enfermés dans un tiroir caché pendant des années… Parce que notre cerveau est bien fait! J’avais tout oublié…»

En plus de la douleur, Jacques Viens a dû composer avec la honte. «Je respecte ceux qui ne peuvent pas se dévoiler. J’en ai parlé à ma femme après vingt ans, parce que j’avais honte de m’être laissé faire. Mais j’étais un enfant fragile», avoue-t-il.

À son arrivée au collège Saint-Césaire, le jeune Jacques vivait plusieurs bouleversements. «C’était le passage au secondaire et en plus, je changeais de ville. À l’époque, on était plus soumis, c’était des hommes d’église. Et eux, ils avaient le don de déceler les jeunes fragiles», raconte-t-il, une pointe d’amertume dans la voix. «Dans ce temps-là, j’avais des maux de dos et j’étais exempté d’éducation physique. C’est là que le frère venait me chercher.»

Malgré l’horreur de ce qu’il a subi, Jacques Viens n’est pas rongé par la colère. Avec un recul des plus surprenants, il analyse les faits qui ont chamboulé sa vie. «Je pense que tout ça résulte, pour beaucoup, de l’entêtement de l’église catholique qui impose le vœu de chasteté. Ça va à l’encontre de la nature humaine», soutient-il.

Bien qu’il pose un regard critique sur le catholicisme, l’ancien élève du collège Saint-Césaire demeure un croyant non pratiquant, comme en témoigne la croix qu’il a au cou.

«Je me méfie encore de certains hommes d’église. Mais je ne pense pas que les frères impliqués là-dedans étaient tous pédophiles. Certains ont été contraints à l’abstinence. Ils étaient des hommes avec des besoins, en contact avec des proies faciles.»

Trente-sept ans ont passé depuis qu’il a été agressé. Toutefois, Jacques Viens ne peut pardonner à son agresseur. «À 13 et 14 ans, je n’avais pas le goût de vivre. J’ai fait trois tentatives de suicide. J’aurais dû avoir une belle enfance, une préadolescence et un épanouissement sexuel. Mais ça m’a suivi toute ma vie. Je ne peux pas pardonner les gestes de ces frères-là. Mais je leur pardonne d’être des hommes. Et j’ai beaucoup plus de pitié pour eux.»

Aujourd’hui, l’agresseur de M. Viens est décédé, comme la grande majorité des religieux impliqués dans l’affaire. Sur une cinquantaine d’accusés, un peu moins de dix sont encore de ce monde. Mais les 206 victimes qui seront indemnisées au cours des prochains jours ont tout de même remporté une grande victoire. «Sans notre avocat, Maître Arsenault, on n’aurait jamais réussi. Mais aujourd’hui, on a gagné contre Goliath. On peut finalement mettre un baume sur nos blessures passées.»