L’école techno: la solution au décrochage scolaire?

À contre-courant de toutes tendances, alors que les taux de décrochage scolaire stagnent ou s’enlisent un peu partout au Québec, la Commission scolaire Eastern Townships a réduit le sien de moitié! Un exploit attribuable à un ambitieux projet d’école techno qui pourrait inspirer le reste de la province.

Il y a dix ans, la Commission scolaire Eastern Townships (CSET) affichait un taux de décrochage scolaire démesuré de 42%! En 2009-2010, selon les données du ministère de l’Éducation, ce taux a chuté à 23,7% et il serait encore plus bas aujourd’hui. «Les chiffres montrent qu’on est en bas de 20%», a révélé la directrice générale, Chantal C. Beaulieu.

Tout ça découle de la décision plutôt controversée de la CSET de prêter un ordinateur portable à tous ses élèves de la 3e année du primaire jusqu’en 5e secondaire. Une initiative annoncée en janvier 2003 et mise en place à la rentrée de la même année.

Total de la facture 12,5M $ pour l’acquisition de 4 500 portables de marque Apple. Depuis dix ans, ce sont 8 000 ordinateurs portables qui ont été achetés par Eastern Townships et distribués dans ses écoles primaires et secondaires que ce soit à Granby, Bedford, Farnham, Cowansville, Sutton ou Waterloo.

La semaine dernière, le professeur Thierry Karsenti, titulaire de la chaire de recherche du Canada sur les technologies de l’information et de la communication en éducation, a dévoilé les résultats d’une nouvelle enquête sur les avantages et les défis de la démarche.

«On ne peut pas faire de lien direct entre l’utilisation des ordinateurs portables et la diminution du taux de décrochage scolaire. Ce qu’on peut démontrer par notre enquête, c’est que le contexte pédagogique a été bonifié et que finalement, c’est ce contexte pédagogique bonifié qui fait en sorte que le taux de décrochage scolaire va diminuer», a indiqué le chercheur de l’Université de Montréal.

Devant le succès observable à Eastern Townships, M. Karsenti s’est même avoué impressionné. «C’est une initiative unique, c’est la commission scolaire qui a le plus diminué son taux de décrochage au Canada, c’est impressionnant!», a-t-il commenté.

Il en a aussi profité pour tendre une perche à tout le réseau de l’éducation. «On devrait peut-être regarder ce qui se fait ici et peut-être qu’on pourrait le mettre en place dans d’autres écoles. Il y a peu d’initiatives qui ont fonctionné au Québec, la preuve, c’est que le taux de décrochage a continué de monter. On voit ici un exemple où le taux de décrochage a diminué, je pense qu’il y a lieu qu’on se penche encore un peu plus là-dessus», a proposé l’expert.

Écriture et motivation

D’après les observations de M. Karsenti, le principal signe de progrès se trouve dans la qualité d’écriture des élèves qui ont profité du programme. Grâce à la vitesse qu’offre le clavier, les élèves affirment avoir plus de temps pour laisser aller leur créativité, ainsi que pour réviser leur composition et la corriger. Les logiciels correcteurs permettent aussi aux élèves de bénéficier d’outils supplémentaires.

Toutefois, la stratégie la plus souvent employée par les enseignants est de demander aux élèves d’écrire un brouillon à l’ordinateur, de l’imprimer et de procéder aux corrections à l’aide de crayons de couleur.

Une stratégie qui semble fonctionner, car comme le fait remarquer le professeur Karsenti, les élèves issus des écoles de la CSET doivent réussir les mêmes examens ministériels que ceux des autres commissions scolaires, sans leur ordinateur ou leur tablette électronique.

«Imaginez, ils travaillent toute l’année avec des ordinateurs portables et ils arrivent à la fin de l’année pour passer les examens et on leur enlève leur ordinateur. À la limite, ils sont désavantagés par rapport aux autres élèves, mais ils réussissent quand même!», mentionne le chercheur.

Les professeurs semblent par contre moins enthousiastes que Thierry Karsenti sur la question de la qualité de l’écriture. Seulement 2,8% d’entre eux ont identifié cet élément comme principal avantage.

En revanche, c’est d’abord la motivation qui ferait toute la différence. Elle trône au sommet des avantages identifiés par les enseignants avec 19,5%. «Ça a servi de catalyseur. Tout passe par la relation prof-élève, ce sont les gens qui font la différence, mais l’outil démontre qu’il améliore la relation prof-élève, que les gens sont plus engagés», plaide la DG Chantal C. Beaulieu.

Financement menacé

Tout en dévoilant les résultats extraordinaires obtenus depuis la mise en place du projet d’école technologique, les dirigeants de la C.S. Eastern Townships lancent aussi un cri de détresse. «Si on veut vraiment continuer de la faire comme il faut, ça nous prend au moins un million de dollars par année. Sinon on va devoir diluer», met en garde Mme Beaulieu.

Ce qui met en péril la pérennité du projet, ce sont les coupures imposées par le ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport depuis deux ans. «On est ouvert aux mécènes!», a lancé la directrice générale en conférence de presse. Elle en a surtout contre les enveloppes fermées pour l’achat de tableaux interactifs, alors que la CSET a plutôt besoin de portables.

Dans le cas où le financement ferait défaut, Eastern Townships serait forcée de réduire le nombre d’appareils électroniques. Celle-ci a déjà emprunté le virage des iPad qui coûtent deux à trois fois moins cher que les ordinateurs portables, mais ce n’est pas suffisant. «On va probablement devoir l’offrir à moins de niveaux», prévient Mme Beaulieu.