250 000 $ pour forcer des patients à être traités
SANTÉ. Au cours des six dernières années, le Centre de santé et de services sociaux (CSSS) de la Haute-Yamaska a déboursé près d’un quart de million de dollars en frais d’avocats. L’objectif? Forcer des patients à suivre un traitement médical ou à être hébergés dans un endroit sécuritaire.
Entre le 1er avril 2009 et le 31 mars 2015, le CSSS de la Haute-Yamaska a déboursé 249 101,32 $ en frais juridiques pour obtenir des ordonnances auprès de la Cour supérieure, révèlent des documents obtenus par Granby Express en vertu de la Loi sur l’accès à l’information.
Pendant cette période, 103 dossiers – dont 85 nouveaux – reliés à une demande d’ordonnance de soins médicaux et/ou d’hébergement ont été soumis à un avocat. Cela représente un coût moyen de 2 418,46 $ par dossier. D’une année à l’autre, la quantité de dossiers varie, entre 12 et 26.
«De toute évidence, en regardant les chiffres, on ne peut pas dire que c’est le vieillissement de la population et que les gens sont plus déments», remarque Dr Michel Poirier, médecin-conseil à la Direction des services professionnels au Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux (CIUSSS) de l’Estrie – CHUS. Il juge difficile d’expliquer la variation du nombre de cas.
L’âge des patients visés par les jugements oscille entre 19 ans et 89 ans. La moyenne d’âge est établie à 41,3 années. «Si on décortique, si on regarde médicalement, les maladies psychotiques se déclarent au début de l’âge adulte. C’est pour ça qu’on a un noyau dans le jeune adulte. Si on faisait des courbes, on aurait probablement un deuxième pic plus âgé», ajoute Dr Poirier.
La sécurité du patient
Les ordonnances de soins médicaux et d’hébergement ont les mêmes fondements cliniques. «À la base, ça prend un médecin qui fait une démarche pour aboutir à une ordonnance. Pourquoi? Le médecin a une inquiétude pour la sécurité du patient, indique Dr Michel Poirier. Pourquoi une telle inquiétude? S’il n’est pas hébergé dans un milieu approprié ou s’il ne prend pas les traitements qui lui sont prescrits, son état se détériorera et cela pourrait mettre en péril sa sécurité, sa stabilité», enchaîne-t-il. En outre, cette démarche sous-entend que le patient a un jugement inapproprié de sa situation, précise Dr Poirier.
Deux clientèles touchées
Deux groupes sont généralement visés par de telles ordonnances. «Ce sont les personnes âgées qui ont des problèmes cognitifs, dont des processus de démence [Ex. Alzheimer, démence vasculaire]. L’autre population, ce sont des gens qui ont des problèmes de santé mentale, dans la famille des problèmes psychotiques [Ex. schizophrénie, maladies schizoaffectives]», mentionne Dr Poirier. D’après le Larousse, la psychose signifie «une altération globale de la personnalité bouleversant les rapports du sujet avec la réalité.»
«Vu qu’ils sont détachés de la réalité, ça affecte leur jugement et de ce qui se passe. Ils peuvent se mettre dans des situations très à risque s’ils ne sont pas traités et si leur condition n’est pas stabilisée avec une médication», poursuit Dr Poirier.
Lorsque le juge de la Cour supérieure émet un jugement qui ordonne des soins médicaux et/ou d’hébergement pour une période donnée, le suivi du dossier est assuré par le Conseil des médecins, dentistes et pharmaciens (CMDP) de l’établissement hospitalier. L’exécutif reçoit aux six mois un rapport détaillé du médecin traitant. Le CMDP n’a pas le pouvoir de lever une ordonnance, mais peut la recommander.
Les frais juridiques reliés aux ordonnances en Haute-Yamaska
Année # de dossiers Coûts reliés Moyenne d’âge
2009-2010 15 34 901,17 $ 40,5
2010-2011 26 55 850,16 $ 41,8
2011-2012 12 25 921,92 $ 32,8
2012-2013 17 35 565,12 $ 44,4
2013-2014 21 63 405,42 $ 45,0
2014-2015 12 33 457,53 $ 43,5
TOTAL 103 249 101,32 $ 41,3
Des extraits de jugements
«Avant l’hospitalisation, il avait lui-même diminué sa médication, car il trouvait qu’il allait mieux. […] Le patient a jusqu’à parler d’homicide [à l’égard de ses parents]. Ses parents ont peur. […] Il a gardé son doigt sur la tempe de sa mère comme un pistolet durant tout un trajet d’auto de deux à trois heures il y a deux ans, car il se sentait menacé. […] Le pronostic demeure très sombre si Monsieur n’est pas traité. Sans médicaments, selon la posologie appropriée, le patient est à risque de demeurer envahi par les symptômes psychotiques et d’être perturbé à long terme dans son fonctionnement social et professionnel. Il y a également un risque de comportements violents.»
– Concerne un patient de 42 ans, célibataire et sans enfant. Souffre de schizophrénie. En août 2010, le tribunal a prononcé une ordonnance de soins et d’hébergement de trois ans.
«Depuis son arrivée au CSSS, l’état de Madame ne s’améliore pas. Elle a des propos bizarres, tels que demander à son conjoint de récupérer un fœtus perdu en 1974 pour le faire enterrer, elle se croit au Club Med. […]Madame n’a aucune autocritique, ni jugement. Cette altération est causée par la maladie qu’elle ne reconnaît pas. Elle refuse catégoriquement tout traitement et fuit le personnel médical et infirmier.»
– À propos d’une dame de 67 ans, mariée et mère de trois enfants qui à une maladie affective bipolaire. La Cour supérieure a ordonné des soins et de l’hébergement pour une période de trois ans.
«Le Centre hospitalier, par le médecin traitant, souligne la gravité du diagnostic retenu: "une déficience intellectuelle avec démence vasculaire surajoutée, une atteinte de toutes les fonctions mentales […] une dénutrition, une hypothyroïdie, et des embolies pulmonaires,…" […] On s’inquiète de la capacité de la nièce à bien comprendre la tâche très lourde de s’occuper d’une personne gravement malade. […] Pourquoi suis-je en train de parler de la personnalité de la tante et de la nièce? Parce qu’elles semblent bien s’accorder ensemble et qu’elles ont de toute évidence convenu, dans la mesure où la tante saisit ce qui se passe, que celle-ci finirait probablement ses jours chez sa nièce. […] Le Tribunal va laisser, pour le moment la chance à la tante et la nièce de vivre ensemble.»
– Concerne une dame de 89 ans, dont la nièce de 59 ans, en meilleure santé, veut recommencer à prendre soin de la patiente. En août 2012, la Cour supérieure n’a pas accédé à la demande d’hébergement formulée par le Centre de santé et de services sociaux de la Haute-Yamaska.