Ces «ados» qui nous ont légué le lac Boivin

ENVIRONNEMENT. Lorsqu’une bande de gamins et leur prof fondent le Club Natural en 1967, ils sont loin de se douter qu’ils vont jouer un rôle majeur dans l’histoire de Granby. Quelques années plus tard, ces précurseurs de l’écologie vont offrir un legs inestimable à leurs concitoyens: le lac Boivin.

Quand on connaît le parcours d’Yves Lauzière, on ne s’étonne pas qu’il ait choisi de s’établir à l’orée du Parc national du Mont Orford. Dans le sous-sol de la maison où il nous reçoit, l’homme de 61 ans conserve des piles de boîtes qui racontent une partie méconnue de l’histoire de Granby.

Dans le cadre de la consultation publique sur l’avenir du lac Boivin, tenue en mai dernier, l’historien Mario Gendron a rendu hommage au Club Natural. «Sans eux, il ne serait rien arrivé et il n’y aurait pas de Centre d’interprétation de la nature. Ce sont eux qui ont découvert le lac Boivin», affirme-t-il sans hésitation.

Grâce aux interventions publiques de la bande de jeunes ados et adultes passionnés d’écologie avant la lettre, «la perception que les élus municipaux et la population ont de leur lac change radicalement», entre 1974 et juin 1976, précise Mario Gendron.

De «swompe à grenouilles», comme le souligne Yves Lauzière, il devient un joyau environnemental aux yeux des Granbyens. «Nous, on est des kids qui déposent un rapport pour sauver le lac Boivin!», met en perspective le cofondateur du groupe.

Les kids sont toutefois tenaces et sont reçus dans des ministères à Québec. Ils vont même jusqu’à se faire inviter dans la chambre d’hôtel du premier ministre Robert Bourassa!

«C’est l’avocat Jean H. Massey qui nous a emmenés au Granbyen pour aller rencontrer Bourassa. Il a fini par nous recevoir dans sa chambre et il nous a dit qu’il allait appuyer notre projet», relate M. Lauzière.

Disparu des cartes

Tout le branle-bas de combat a été déclenché en 1972 lorsqu’Yves Lauzière et Alain Desgreniers mettent la main sur une carte de la ville de Granby où le marécage n’apparaît plus. On leur apprend alors qu’il y a «plein de projets immobiliers» dans l’air.

«C’est là qu’on s’est dit, en tant que petits culs, qu’on n’allait pas laisser faire ça», relate M. Desgreniers. Parallèlement, les élus étudient aussi la possibilité de creuser le lac afin d’assurer l’approvisionnement en eau.

La solution à ce problème viendra finalement de Québec. «Je me souviens que j’étais au ministère des Ressources naturelles à Québec et là, le fonctionnaire m’amène dans une grande salle de conférence et il me dit, «ton problème est réglé» en déroulant un plan sur la table. C’était le barrage Choinière», révèle Yves Lauzière.

Cette annonce rend caduque la position de la Ville. Les inventaires d’espèces réalisés par les jeunes naturalistes viennent ensuite étoffer leurs revendications de créer une réserve naturelle.

Le conseil municipal se rangera finalement à leurs arguments et scelle le destin du Centre d’interprétation de la nature du lac Boivin (CINLB). C’est encore le Club Natural qui négocie les termes du projet et qui procède à l’aménagement des sentiers. En 1979, Yves Lauzière qui étudie alors à l’Université Laval se voit octroyer le premier poste de directeur général du CINLB.

L’héritage

S’ils ne réalisaient pas tous à l’époque qu’ils écrivaient l’histoire de leur ville, les piliers du Club Natural saisissent aujourd’hui l’impact de leurs actions. «Ça a un impact sur la qualité de vie complète de la ville», analyse Normand Fleury qui a fait carrière au Jardin botanique et au service des parcs de Montréal.

En contemplant l’immense forêt mature qu’il a contribué à planter, Jean Prémont n’hésite pas à confier que ce fait d’armes représente beaucoup. «Je pourrai mourir en paix, en me disant que dans ma vie j’ai laissé ça», glisse-t-il.

26 000 arbres plantés

L’impressionnante forêt qui relie le CINLB au quartier de la rue de l’Estrie a été créée de toutes pièces. «On a planté 26 000 arbres qui nous ont été donnés par le ministère des Forêts», se rappelle Yves Lauzière.

Ce sont des membres du club et des employés en réinsertion sociale embauchés grâce à des subventions qui ont mis les arbres en terre.

L’anecdote raconte qu’une sécheresse a frappé la région au même moment et que ce sont les pompiers qui ont arrosé la jeune forêt durant plusieurs jours!

La petite histoire du Club Natural

«On faisait des camps d’observation de la nature avec notre professeur Rémi Deslandes. Je me souviens, c’était le 6 avril 1967, c’est là qu’est née l’idée de fonder le Club des bibittologues qui s’est ensuite appelé le Club Natural parce que ça faisait plus sérieux», raconte Yves Lauzière.

Autour d’un noyau dur d’une dizaine de garçons et filles se greffent jusqu’à 40 membres. Les jeunes sont des passionnés de sciences naturelles et de conservation de la nature. Ils se font connaître par des manifestations et leur présence sur toutes les tribunes pour défendre leur projet de protection du marais du lac Boivin.

Une faction plus engagée du club fonde l’Association pour la conservation et l’aménagement des marécages qui sera à l’origine du projet du Centre d’interprétation de la nature du lac Boivin et du parc Daniel-Johnson.

Affilié aux Loisirs de Granby, le Club Natural aura été actif durant une vingtaine d’années.

Saviez-vous que…?

Avant de porter le nom de lac Boivin à partir de 1967, le plan d’eau a été nommé lac Henderson, puis lac Granby. Officiellement, le lac aura 200 ans en 2015. Sa naissance coïncide avec l’installation du premier barrage sur la rivière Yamaska à Granby en 1815.

Des noms à retenir

Yves Lauzière, Jean Prémont, Alain Desgreniers, Micheline Raymond, Normand Fleury, Michel Bienvenue, Serges Ruel et Louis-Paul Perras formaient le noyau dur du Club natural.

À ces jeunes idéalistes dynamiques se sont joints des adultes qui leur ont apporté du soutien, dont Rémi Deslandes, Lise Grenier, Gérald Scott et Jean H. Massey.

«Il n’y a pas de génie là-dedans, c’est le courage et l’audace de la jeunesse. Mais l’appui des adultes est majeur. Ils ont été «supportants» ou tolérants», souligne Yves Lauzière.