Les petits producteurs porcins voués à disparaître?
Malgré un produit apprécié des consommateurs et des restaurateurs, une mise en marché efficace, une bonne visibilité et un intérêt croissant, Le P’tit cochon rond de Saint-Joachim-de-Shefford met fin à ses activités. Une nouvelle qui met une fois de plus en lumière la dure réalité des petits joueurs de l’industrie porcine.
Bien des habitués du marché public au centre-ville de Granby ont eu la surprise de ne pas trouver leur producteur de porc le 6 juillet dernier. À la place du kiosque du P’tit cochon rond, une lettre attendait les clients.
«C’est avec regret et tristesse au cœur que nous vous annonçons que nous cessons nos activités en production porcine», pouvait-on lire sur le document signé par les propriétaires René Beauregard et Lise Lamoureux. Pour expliquer leur décision, ils citent «la conjoncture économique difficile dans ce domaine depuis plusieurs années», ainsi qu’un manque de relève.
«Ç’a été une décision assez difficile et on ne l’a pas fait de gaieté de cœur, mais c’est là où on était rendu», a confié Lise Lamoureux au téléphone. Un choix «doublement difficile» parce que la mise en marché du produit ne cessait de croître.
Pour René Beauregard, ce n’est surtout pas par manque de volonté qu’il met fin à l’entreprise familiale, mais en raison de facteurs hors de son contrôle. «Le prix du porc, ça fait cinq ans que c’est boiteux. Pendant ce temps-là, le prix des céréales augmente», explique-t-il.
Selon des données fournies par la Fédération des producteurs de porc du Québec, le coût de production d’un porc est passé de 206$/100kg au début de l’année 2012 à 222$/100kg à la fin de la même année. Le coût du grain a grimpé de 7% entre 2011 et 2012 en raison d’une importante sécheresse du côté américain.
Concurrence mondiale
Président de la Fédération des producteurs de porc du Québec, David Boissonneault concède que l’industrie ne se porte pas bien, mais il croit en un avenir plus rose. «Il n’y a rien qui indique qu’il n’y a pas d’avenir», lance-t-il en rappelant que le porc est la viande la plus consommée dans le monde.
Du même souffle, le producteur de 37 ans précise que «c’est difficile partout dans le monde». Il note d’ailleurs une baisse de la production en Europe et en Asie, malgré une hausse de la consommation. Ailleurs, là où la production se maintient, «les éleveurs sont supportés par des politiques agricoles», observe M. Boissonneault.
Celui-ci réclame d’ailleurs un meilleur soutien public afin que les entreprises porcines demeurent viables. «Tout passe par la compétitivité des politiques agricoles», croit-il.
Un autre facteur qui a fait très mal à l’industrie, c’est la force du dollar canadien dans l’économie mondiale. «Tout le développement de l’industrie s’est fait quand le dollar était à 0,60$, 0,70$», pointe l’entrepreneur.
Il souligne du même coup que toutes les ventes sur le marché extérieur ont donc perdu 30% à 40% de leur valeur depuis l’atteinte de la parité. «Il n’est plus dans le secteur cet argent-là. Ça fait un choc pour l’État aussi. La question du taux de change provoque une aide plus récurrente de l’État», analyse le jeune président.
L’avenir aux gros joueurs
Forcé de démanteler sa ferme, René Beauregard qui se qualifie d’«éternel optimiste», croit que les jours des petits joueurs sont comptés. «L’avenir, ça va devenir des mégas entreprises et elles vont nous faire manger ce qu’elles veulent nous faire manger», prévient-il.
Une position que partage la professeure d’économie agricole et de mise en marché collective à l’Université Laval, Annie Royer. «Pour les petites entreprises, c’est de plus en plus difficile de tirer leur épingle du jeu», partage-t-elle.
Annie Royer ajoute que les «indépendants, qui ont moins les outils pour gérer les risques, vont disparaître». Pour expliquer sa position, elle souligne que le marché du porc est très volatile, que les producteurs n’ont aucun pouvoir de négociation sur les prix et qu’ils sont très vulnérables aux virus.
Selon elle, il n’existe encore aucune solution miracle, mais certaines structures d’affaires permettent de favoriser certaines entreprises. «Certains vont s’intégrer et produire des porcs pour un intégrateur, souvent des meuniers ou des abattoirs. C’est une façon de gérer les risques», évoque la spécialiste.
Des coopératives ont aussi été développées un peu partout par des producteurs qui se rassemblent. D’autres, comme les propriétaires du P’tit cochon rond, contrôlent tout, de l’engraissement à la mise en marché. «En général, ces gens-là ont les reins plus solides», affirme Mme Royer.
L’achat local
On l’entend depuis des années, la Fédération des producteurs de porc du Québec a fait d’énormes investissements dans ses campagnes du «Porc du Québec». Toutefois, bien des gens continuent de se méprendre devant l’étalage de viande de leur épicier.
«Sur les tablettes, on n’a pas que le porc du Québec, on en importe aussi. Il faut que les gens demandent le porc du Québec», mentionne la professeure Royer. D’ailleurs, le porc du Québec figure parmi «les leaders mondiaux dans la qualité de la viande», précise-t-elle.
Grâce à leurs différentes coupes et plusieurs produits transformés à partir de leur porc certifié «naturel», les propriétaires du P’tit cochon rond faisaient figure d’avant-gardistes. Ils devaient cependant faire face à un marché ouvert et non protégé comme c’est le cas pour le lait ou les œufs.
René Beauregard aurait pu poursuivre et tenter de s’accrocher, mais 20 ans à se battre et à vivre l’incertitude ont fait leurs dommages. «Je ne pensais pas finir ma carrière de cette façon-là, confie-t-il. On va passer à autre chose et être heureux dans d’autre chose. Quand on relativise, il y a des choses bien pires que ça dans la vie. La décision est prise et on va de l’avant.»
L’industrie porcine en chiffres*
3 496 producteurs de porc
25 600 emplois directs et indirects
2,25 milliards en retombées économiques
71% de la production exportée dans…
…125 pays importateurs…
…ce qui représente 9% du commerce mondial du porc.
*Source: Fédération des producteurs de porc du Québec