Les toiletteuses veulent de la reconnaissance

SOCIÉTÉ. Bien des employés ont vu leurs conditions se détériorer au cours des dernières années. La pandémie a eu raison de plusieurs travailleurs qui étaient au front à cette époque, mais d’autres corps de métier subissent encore les affres de cette période, à l’image des toiletteurs pour animaux qui doivent de plus en plus composer avec des chiens anxieux et des clients surexigeants.

Impératifs pour certains chiens, cauchemars pour d’autres… le toilettage est devenu une pratique quasi obligatoire pour tous ceux qui partagent leur vie avec un compagnon à quatre pattes. Si la demande ne fait qu’augmenter au cours des dernières années, la réalité de l’emploi a quant à elle bien changé, nous ont fait savoir les toiletteuses de l’Espace câlin à Granby, Geneviève Mailhot et Sophie Bouffard-Provencher.

La pandémie a rallumé les ardeurs de plusieurs personnes qui ont procédé à l’achat ou à l’adoption d’animaux, particulièrement de chiens, pour notamment se sentir moins seules dans une grande période d’isolement. D’autres personnes ont vu dans cette tendance une opportunité de faire de l’argent en faisant accoupler des chiens entre eux et en vendant leurs chiots. «Il y a eu des chiens anxieux qui se sont reproduits entre eux. Le cours de la vie a recommencé, les maitres sont retournés au travail, mais tous ces chiens-là ne sont pas habitués à cette absence», note Sophie Bouffard-Provencher, toiletteuse depuis 17 ans.

Ainsi, lorsqu’ils se présentent au centre de toilettage, certains de ces animaux stressés subissent cette séparation et deviennent agressifs envers le personnel et les autres bêtes de la place. «Quand j’ai commencé ce métier en 2005, on en voyait un ou deux chiens agressifs de temps en temps, mais aujourd’hui, on en a au moins deux par semaine», regrette Mme Bouffard.

Pour les toiletteuses, cette hausse se traduit par des risques aggravés de blessures et de hausse de temps de toilettage, en plus du fait d’être exposées parfois pendant de longues heures à des jappements stridents et incessants. «C’est sûr que c’est les risques du métier, mais on voit ce genre de situations vraiment plus qu’avant», mentionne la toiletteuse.

«On ne fait pas juste jouer avec des toutous »

Comme bien d’autres professions à travers la province, les toiletteuses peinent à répondre à la demande et éprouvent plusieurs difficultés à recruter de la main-d’œuvre. Le gouvernement ne reconnaissant pas le toilettage officiellement, ceux et celles qui désirent se lancer dans cette aventure doivent tout d’abord se trouver un mentor. «Beaucoup de toiletteuses ne veulent pas apprendre leur métier. On ne retrouve pas de cours complets gouvernementaux avec une attestation non plus. C’est plus des cours de lancement d’entreprise avec le volet toilettage et qui dure trois mois», explique Jémilie Solange Dupéré, toiletteuse basée en Montérégie.

Aujourd’hui, les toiletteuses doivent redoubler d’efforts pour offrir un service de qualité équitable et répondre à cette demande incessante. Nos trois intervenantes sondées avouent chacune toiletter au moins une dizaine de chiens par jours. «On doit refuser des gens parce qu’on n’a plus de place, et en plus on n’a pas de relève. Le métier de toiletteur est vraiment dur sur le corps ; les gens se découragent, se blessent et finissent juste par partir», souligne Sophie Bouffard.

La relation a également changé avec les clients qui sont de plus en plus difficiles et exigeants envers le personnel. «Les clients n’aiment pas se faire dire que leurs chiens sont agressifs ou de quoi. On n’a pas le choix de leur dire, parce que parfois on voit des choses qui peuvent être dangereuses pour des enfants, par exemple. On doit être capable de le nommer», mentionne Geneviève Mailhot, toiletteuse et gérante de l’Espace câlin.

«Les clients nous demandent des fois de coiffer leur animal de telle ou de telle façon, mais ils ne savent pas que ça leur fait aussi mal quand on étire leurs poils. On le rend agressif pour le look que le client veut, et non pour le bien-être », indique Sophie Bouffard.

«On veut écouter le client et qu’il soit content, mais pas au détriment du bonheur de l’animal», ajoute la propriétaire de la place.

Un peu de reconnaissance

Au-delà des difficultés déjà énumérées et des clients difficiles, nos intervenantes avouent toutes que ce qui les sort de leurs gonds sont les préjugés et les fausses idées véhiculés sur leur domaine. «Ce qui vient me chercher, c’est quand des gens me disent que je fais juste m’amuser avec des toutous. Je fais le plus beau travail du monde, mais venez passer une journée avec nous et vous allez voir si on fait juste jouer avec des animaux», lance Mme Mailhot.

«On met notre visage et nos mains en danger, il faut que tu aies de la patience quand ça fait huit heures que tu te fais japper dans les oreilles. Et on s’entend qu’il ne faut pas avoir le cœur sensible avec tous les excréments qu’on ramasse», renchérit Mme Bouffard.

Aujourd’hui, alors que les toiletteuses souhaitent être reconnues à leur juste valeur et exercer dans de meilleures conditions, c’est bien la passion des animaux et de leur bien-être qui les poussent à exercer un métier qui est largement en manque de reconnaissance. «On veut que les gens nous considèrent pour le travail qu’on fait. Qu’ils comprennent qu’il y a une hausse forte de la demande, et beaucoup moins d’employés. On essaie de faire plaisir à tout le monde», lance la gestionnaire de l’Espace câlin, obligée de faire des semaines de 70 heures pour répondre à toute cette demande.

«Personnellement, j’aimerais faire tous les chiens. Je travaillerais 7 jours sur 7 pour tous les faire, mais je ne peux pas. Je n’ai plus 25 ans et j’ai des enfants à charge. Ce n’est pas qu’on ne veut plus de clients, c’est juste que ça commence à être beaucoup, et a un moment donné, on ne pourra plus faire notre métier dans des conditions adéquates», conclut Sophie Bouffard-Provencher.