Un autre 1er juillet pour Mehdi Isufi

DÉMÉNAGEMENT. À l’aube du 1er juillet où plusieurs personnes préparent leurs boîtes pour changer d’adresse, le Granbyen d’adoption, Mehdi Isufi, propriétaire de logements, indique que plusieurs nouveaux arrivants ignorent que cette journée est un «sport national» au Québec.

Installé à Granby depuis octobre 1998, Mehdi Isufi, originaire du Kosovo, a fui la guerre qui régnait dans son pays pour venir s’établir dans la région après un passage de dix ans (1988-1998) en Suisse.

Celui qui est maintenant propriétaire d’un immeuble à logements sur le boulevard Leclerc Est ne le cache pas: les nouveaux immigrants qui s’implantent dans la région ne connaissent pas l’ampleur des déménagements le 1er juillet.

«Ils ne savent même pas, qu’ici, au Québec, c’est un sport national le déménagement, fait remarquer Mehdi Isufi. Les gens paniquent énormément. J’ai une famille colombienne, dont les parents pleuraient l’autre fois. Ils voulaient déménager à Sherbrooke. Ils pensaient que tu peux le dire [au propriétaire] deux ou trois mois d’avance. Je leur ai dit qu’ils devaient respecter leur bail.»

Mehdi Isufi s’est déjà retrouvé dans les mêmes souliers que ceux des nouveaux arrivants; il a dû s’adapter, mais aussi s’intégrer. C’est pourquoi il est important pour lui de leur venir en aide quand ils en ont besoin.

Récemment, il a loué l’un de ses logements à un nouvel arrivant colombien et lui a donné des meubles et des électroménagers. Il a fait une exception à son règlement; il lui a permis de les laisser dans le corridor d’ici le grand jour.

«Je lui ai dit de ne pas paniquer et de relaxer, affirme M. Isufi. Je lui ai expliqué [comment ça fonctionne ici] et qu’il n’avait pas à s’inquiéter, que j’allais faire quelque chose. Il était vraiment content. [Il a compris] qu’il ne pouvait pas faire comme en Colombie, au Kosovo ou en Suisse.»

Le Granbyen d’adoption a décidé en 2013 d’acquérir son immeuble pour qu’il ait toujours quelque chose à faire et c’est une décision qu’il ne regrette pas.

Une proximité

Quand Mehdi Isufi parle de ses locataires, il n’hésite pas à confier qu’il est un homme chanceux. Les problématiques «rock’n’roll» qu’il a entendues ailleurs, il ne les a pas vécues dans son immeuble, qui compte 18 familles, dont plusieurs sont issues de la population immigrante.

«J’aime mes locataires, admet M. Isufi. Ils sont comme ma famille. On est vraiment proche. C’est du bon monde qui vient de partout.»

Chaque année, Mehdi Isufi organise un dîner pour ses locataires quand il fait beau. Il apporte sur place son BBQ et les sert. «On fait ça en arrière; j’avertis mes locataires un mois d’avance. On parle et les enfants jouent au ballon. Je ne suis pas un égoïste, j’aime partager. C’est comme ça.»

Bien qu’il soit originaire d’un autre pays, M. Isufi ne voit pas de barrières entre lui et ses locataires. Bien au contraire. «Je ne vois aucune différence, remarque-t-il. L’ex-propriétaire était un Québécois de souche et il y en avait trois ou quatre [locataires] qui voulaient déménager. Quand j’ai acheté, j’ai commencé tout de suite à réparer des affaires pour rendre service à mes locataires. Ils m’ont ensuite appelé pour savoir s’ils pouvaient rester. Ils m’ont expliqué pourquoi ils restaient: l’autre [propriétaire] ne faisait pas ce que je fais.»

Selon M. Isufi, si on bâtit un château pierre après pierre, c’est la même chose en société. «C’est mon travail de rendre service à mes locataires. C’est essentiel. Ce n’est pas juste de ramasser ou de collecter l’argent. J’aime travailler avec le monde.»

Une aide pour les immigrants

Lorsque la vague de Syriens a emménagé à Granby il y a quelques années, Mehdi Isufi a rapidement levé la main pour leur venir en aide, même si rien ne l’attachait à ce peuple immigrant.

«C’était un cas assez spécial, se rappelle celui qui a aussi vécu la misère dans son pays alors que le nettoyage ethnique régnait. J’ai réservé des appartements [pour les Syriens] pour accueillir trois familles. Je ne voulais pas l’argent. J’ai tout rénové. On a apporté tout ce qui est nécessaire pour vivre. Aujourd’hui, je suis très fier d’avoir fait ça.»

Quand il a rencontré les Syriens, Mehdi Isufi, accompagné d’un traducteur, n’a pas passé par quatre chemins. «Je leur ai dit: vous êtes obligés de vous intégrer si vous voulez vivre dans notre société canadienne. C’est une obligation morale pour chacun d’entre vous.»

Si certains de ses locataires immigrants ne parlaient pas français à leur arrivée, aujourd’hui, M. Isufi se réjouit de leur intégration. «À ce jour, ils sont vraiment polis et propres; je suis vraiment content, confie-t-il. Maintenant, ils parlent très bien français.»

Quand on demande à Mehdi Isufi s’il est prêt à aider d’autres personnes de la population immigrante, il ne tarde pas à répondre: «n’importe quand».

Une facilité d’adaptation

À son arrivée à Granby, Mehdi Isufi n’a pas tardé à s’insérer dans la société; il est tombé en amour avec la région.

«Je suis marié à Granby, aime-t-il dire. C’est une ville extraordinaire. J’adore, vraiment. Je ne voulais pas que mes enfants grandissent dans une [grande] métropole. C’est un petit peu rock’n’roll. Je voulais une place pittoresque. On est bien ici.»

Le français n’a peut-être pas été facile à apprendre au début pour M. Isufi, mais il a pu compter sur un excellent professeur en francisation, Michel Blais, pour lequel il voue un immense respect. Après seulement six mois, il maîtrisait déjà la langue et agissait comme traducteur avec les nouveaux immigrants.

«Il est un magicien de la langue, fait-il savoir. C’est un génie; tout un modèle. Je ne regrette pas du tout. Je me suis intégré assez bien tout de suite.».

«C’est sûr que c’était peut-être dur, mais grâce à mon sport, j’ai rencontré des gens et on a commencé à rire, poursuit-il. Tout le monde fait le même sourire; c’est ce qui nous a attachés.»

Parce qu’il a été aidé à son arrivée dans la région, Mehdi Isufi croit qu’il est tout à fait normal de redonner à son tour. Il salue d’ailleurs sa communauté albanaise qui a réussi également à se démarquer «en travaillant avec la sueur du front».

«Il faut trouver le meilleur chemin pour s’intégrer. Je pense que le Canada est le meilleur pays du monde pour accueillir les immigrants. À Granby, il y en avait du monde qui était prêt à tout donner. Il ne faut pas oublier ça.»