Cabinet provincial: Les hommes mieux payés que les femmes
QUÉBEC. La cravate est plus utile que la jupe pour mériter un bon salaire dans un cabinet de ministre. Car la paye versée aux hommes qui dirigent les cabinets des ministres du gouvernement Couillard est en général bien plus alléchante que celle consentie aux femmes effectuant le même travail.
L’écart de rémunération entre directeurs et directrices de cabinet atteint environ 12 %, en moyenne. En 2016, le salaire moyen versé aux chefs de cabinet varie de 141 856 $, si on est un homme, à 124 653 $, si on est une femme, un écart de 17 203 $.
C’est ce qui ressort d’une compilation en fonction des sexes effectuée par La Presse canadienne, à partir du tableau produit en mars par le Conseil exécutif pour l’année financière 2015-2016 et mis à jour pour tenir compte des changements survenus depuis dans les cabinets des ministres Martin Coiteux et Hélène David.
Poste stratégique, le chef de cabinet agit comme bras droit et principal conseiller des ministres et du premier ministre. Le gouvernement actuel en compte 28, soit 15 hommes et 13 femmes. En nombre, l’égalité paraît donc à peu près acquise, mais en argent sonnant, c’est apparemment une autre histoire.
En 2016, selon les règles en vigueur, la personne chargée de diriger un cabinet peut espérer gagner entre 110 000 $ et 145 941 $, un salaire élevé, mais pour un poste politique, donc à statut précaire.
Des 28 chefs de cabinet, huit figurent au sommet de la pyramide des salaires, soit dans la catégorie des 144 000 $ et plus: huit hommes, mais aucune femme.
C’est donc dire qu’environ la moitié des chefs de cabinet de sexe masculin (huit sur 15) ont accès aux meilleures conditions salariales disponibles, alors que pas même une seule de leurs collègues féminines n’a droit à ce privilège.
Là comme ailleurs, c’est plutôt au bas de l’échelle salariale qu’on retrouve les femmes. Avec un revenu de 110 000 $, soit le salaire minimum fixé pour ce type d’emploi, on trouve quatre chefs de cabinet: trois femmes (23 pour cent) et un homme (6 pour cent).
En fait, la grande majorité des femmes (77 pour cent) exerçant la fonction de bras droit d’un ministre gagnent 130 000 $ ou moins. On ne trouve que 26 pour cent des messieurs dans la même catégorie.
Le «Boys Club»
Dans les cercles politiques, au moment de fixer un salaire, la taille du ministère, le nombre d’années d’expérience, mais surtout une bonne dose d’arbitraire — incluant le sexe de l’individu — peut faire toute la différence dans le porte-monnaie.
Un exemple parmi d’autres: en février 2015, François Blais devient ministre de l’Éducation. Son directeur de cabinet compte plusieurs années d’expérience. Salaire annuel: 144 000 $.
Un an plus tard, remaniement. Sébastien Proulx passe à l’Éducation, tout en conservant la Famille. Sa directrice de cabinet fait elle aussi partie du personnel politique depuis des années. Mais même si sa tâche, par rapport à son prédécesseur, a augmenté, la paye, elle, a diminué. Salaire annuel: 125 000 $.
Une ancienne directrice de cabinet du gouvernement actuel, qui a requis l’anonymat, raconte sa surprise quand elle a pris ses fonctions et découvert que son prédécesseur, un homme, gagnait 15 000 $ de plus qu’elle. Insultée, elle a dû frapper à la porte du cabinet du premier ministre pour revendiquer un salaire égal pour un travail égal, ce qu’elle a finalement obtenu. Si elle s’était tue, personne n’aurait levé le petit doigt, selon elle.
«C’est vraiment un ‘boys club’», où les femmes «n’ont pas beaucoup de place» et surtout pas aux postes décisionnels, stratégiques, raconte cette ex-directrice de cabinet qui a quitté la politique, après plusieurs années dans les cabinets du gouvernement Charest, puis Couillard.
Le principe du deux poids, deux mesures, règne toujours dans les lieux de pouvoir, assure-t-elle. Elle en rend responsable le cabinet du premier ministre Philippe Couillard où transpire, selon elle, une «drôle de culture», une culture de «rudesse» dans la façon de traiter le personnel en général et les femmes en particulier, reléguées au rôle de seconds violons.
Elle affirme que malgré plusieurs années d’expérience pertinente elle n’aurait jamais pu accéder au poste de chef de cabinet sans l’appui et les pressions d’un sous-ministre, qui a plaidé sa cause en haut lieu.
À micro fermé, d’autres habituées des cabinets politiques ayant réorienté leur carrière affirmeront qu’encore aujourd’hui il est plus difficile, dans ce milieu, pour une femme, de négocier un poste avantageux et un salaire égal à celui des jeunes loups à cravate.
La responsabilité de désigner un directeur de cabinet et de fixer son salaire revient soit au ministre, soit au chef de cabinet du premier ministre, surtout dans le cas des nouveaux venus en politique. Les ministres plus expérimentés préfèrent souvent choisir eux-mêmes leur directeur de cabinet et déterminer son salaire.
Le salaire du directeur de cabinet du premier ministre se situe dans une catégorie à part. Jean-Louis Dufresne recevra cette année 208 887 $, soit tout près du maximum autorisé pour son poste (210 976 $).
Même en soustrayant du calcul la rémunération de M. Dufresne, pour ne retenir que les cabinets de ministres, l’écart salarial entre hommes et femmes demeure élevé, à environ 10 pour cent.
À la lumière de ces faits, le Conseil du statut de la femme (CSF) constate que l’écart de rémunération entre hommes et femmes dans les sphères politiques correspond à celui observé dans la société en général. «Comme quoi, les inégalités entre les femmes et les hommes sont toujours bien présentes» même chez les dirigeants, a commenté la porte-parole du CSF, Liliane Côté.
«Ces données sur les salaires des directrices et directeurs de cabinet ne nous surprennent pas», a-t-elle ajouté.