Médecins: Des formations sous le soleil déductibles d’impôt

ÉTHIQUE. Des médecins québécois reçoivent des crédits d’impôt lorsqu’ils suivent de la formation continue donnée par d’autres médecins québécois… dans des endroits paradisiaques à l’étranger.

Du 19 au 28 avril 2016, des groupes de plusieurs centaines de médecins québécois se sont envolés pour le Japon avec le groupe Caméléo DPC. Ils ont suivi une quinzaine d’heures de formations sur le dépassement de soi, la médecine en situation d’urgences humanitaires, les maladies tropicales et la prévention cardiovasculaire données par des médecins québécois. Le reste du temps, ils s’adonnaient à des activités touristiques.

«Ce sont des voyages extraordinaires, qu’il serait difficile ou coûteux d’organiser moi-même», a souligné avec enthousiasme la pédiatre mont­réalaise Elaine Champagne, qui a participé au voyage, de même qu’à deux autres périples de Caméléo en Afrique et en Polynésie française.

D’autres voyages de Caméléo DPC ont eu lieu au Portugal et au Club Med Cancún. Le contenu des formations n’a pas de lien avec les pays visités, malgré que le comité scientifique ait l’intention de développer un volet sur la pratique locale.

«Ce sont des cours qui peuvent s’appliquer à tout le monde. Il y a souvent une période de trois heures qui n’est pas vraiment pour moi et ma spécialité», a reconnu la Dre Champagne. Elle indique par ailleurs que ces voyages sont très populaires auprès des médecins, certains d’entre eux ayant des listes d’attente.

Selon les règles fiscales, la Dre Champagne et les autres participants à des voyages de formation continue ou à des congrès, qui sont légion au Québec et à l’international, peuvent faire déduire de leur impôt les billets d’avion, l’hébergement pour les jours consacrés à la formation, une journée avant et une journée après, de même que 50% du prix des repas au cours de ces journées. Ils ont aussi droit à une allocation de la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ) pour chaque journée complète de formation. En vertu d’ententes avec les fédérations de médecins, les omnipraticiens obtiennent chaque jour 388$, et les spécialistes, 800$, pour un nombre maximum de jours par année.

Ces mesures visent à encourager les médecins à renouveler leurs connaissances en leur donnant accès aux meilleurs spécialistes du monde. «L’objectif est qu’ils acquièrent de l’information qui va améliorer la qualité des soins aux patients, a expliqué le Dr Claude Guimond, président du Conseil québécois de développement professionnel continu des médecins. Mais il est clair que le but premier pour eux est de faire le voyage.»

Le Dr Gilles Rousseau, médecin de famille, directeur scientifique du Groupe santé Caméléo et ancien participant à un de ces voyages, juge que le contexte de vacances est un atout permettant de regrouper autant des médecins de famille que des médecins spécialistes, de même que leurs conjoints, qui sont souvent des professionnels de la santé. «C’est une occasion d’échanger sur des situations difficiles ou sur des expériences de travail en équipes interprofessionnelles. La possibilité de voyager les incite à se regrouper. Il y a beaucoup de formations à Montréal, mais c’est souvent par spécialité», a fait valoir le Dr Rousseau.

Montant raisonnable
Est-ce encore éthique de bénéficier de ces avantages lorsque les médecins pourraient recevoir ces formations près de chez eux? Le Dr Guimond s’en remet aux lois fiscales. Julien Martel, fondateur du Groupe Caméléo, fait pour sa part remarquer que les dépenses réclamées à l’impôt pour de la formation à l’étranger ne doivent pas dépasser celles qui seraient engendrées pour de la formation similaire au Québec. Mais comment les autorités fiscales déte-rminent-elles ce qui est «raisonnable» et le montant qui aurait été dépensé au Québec? Il n’y a pas de balises claires, encore moins de plafond, confirme l’Agence du revenu du Canada (ARC). L’ARC et Revenu Québec y vont au cas par cas.

Plusieurs médecins ont par ailleurs confirmé à Métro avoir pu déduire de leur impôt des billets d’avion pour des destinations éloignées et des frais d’hôtel. Par exemple, la Dre Marie-Pascale Éthier se rappelle avoir déduit plus de 2000$ pour un congrès de dermatologie et d’allergologie pédiatrique de trois jours à Vancouver en 2013. Ce genre de congrès est différent des formations de Caméléo en ce qu’il rassemble des spécialistes provenant de partout sur la planète.

Un médecin montréalais qui a préféré garder l’anonymat nous a également confirmé qu’il avait pu obtenir une déduction des frais mentionnés précédemment en commandant de la formation médicale assistée par ordinateur lors d’un voyage de plaisance à l’étranger. Une telle manœuvre est possible grâce à l’American Seminar Institute (ASI), qui permet de suivre des séminaires presque n’importe où dans le monde.  L’ASI compte beaucoup d’adeptes québécois, au dire de l’entreprise.

«Je ne suivrais pas ce genre de formation à Montréal. J’en fais déjà plusieurs à Montréal, mais on a le droit à deux formations à l’étranger par année, a souligné ce médecin. Le principe est le même que pour les gens d’affaires, qui déduisent certaines dépenses de leur impôt, sauf que pour nous, c’est une obligation de parfaire nos connaissances.»

La Dre Champagne abonde dans le même sens. «On doit se garder à jour non seulement pour satisfaire à des obligations déontologiques, mais aussi pour être les meilleurs praticiens possible. Nous ne pouvons pas toujours joindre l’utile à l’agréable: nos horaires sont chargés et nos obligations familiales et médicales sont souvent nombreuses. C’est vrai que nous avons une belle occasion de participer à ces activités de formation dans des endroits de rêve. Nous travaillons beaucoup et offrons d’excellents services à la population pour un prix proportionnel.»

Comment se fait le calcul?
Le salaire moyen des médecins, autant omnipraticiens que spécialistes, se situe au pallier supérieur d’imposition, soit à 53,31%. Un médecin qui gagne 300000$ paye ainsi 159930$ en impôt. S’il réussit à diminuer son revenu imposable de 2000$, il économisera 1066,20$. Notons que les autorités fiscales peuvent décider que seule une partie du prix des billets d’avion ou de l’hébergement au cours d’un voyage de formation ou d’un congrès est admissible.