Amnistie internationale presse Ottawa et Québec d’en faire plus pour les Autochtones

MONTRÉAL — Le Canada et encore plus le Québec sont de grands parleurs dont les gestes tardent à suivre le discours en matière de droits des Autochtones.

La secrétaire générale d’Amnistie internationale, Agnès Callamard, espère que ses rencontres avec des décideurs canadiens et québécois, en marge de la COP15 à Montréal, aideront à faire avancer ces droits.

Lors d’une discussion à bâtons rompus avec La Presse Canadienne et Le Devoir, jeudi, Mme Callamard a salué les efforts du Canada pour reconnaître ses torts en matière de violation des droits autochtones et pour réaliser des rapprochements avec les Premières Nations. Mais les représentants autochtones n’ont pas mâché leurs mots quant aux progrès promis. «Absolument tous les représentants des peuples autochtones à qui j’ai parlé, que ce soit au Québec ou en Colombie-Britannique, m’ont tous dit la même chose: les consultations, c’est franchement du « bullshit ». Il y a une vraie colère», a-t-elle laissé tomber.

Entre autres, une visite à Manawan, dans le nord de Lanaudière, lui a laissé l’image d’une communauté laissée à elle-même. «Les conditions de vie sont quand même en deçà de ce que l’on s’attendrait à voir dans un pays comme le Canada et une province comme le Québec.» 

La crise climatique est une crise de droits humains

Présente également à la récente COP27, en Égypte, Mme Callamard porte le message que la crise climatique est aussi, en elle-même, une crise de droits humains «d’abord parce que la crise climatique se solde par des morts que nous décrivons comme étant illégales, dans la mesure où on pourrait les prévenir. Elle se traduit par des conflits armés, liés à l’usage de ressources, de la nourriture, de l’eau, à la désertification», explique-t-elle. 

Aussi, précise-t-elle, «la grande majorité de ceux qui sont assassinés et portés disparus chaque année, ce sont les défenseurs de la justice climatique à l’échelle internationale et certainement à l’échelle des Amériques».

Elle reconnaît volontiers que la situation des peuples autochtones canadiens n’a rien à voir avec les violences qu’Amnistie internationale constate dans des pays comme la Colombie, le Mexique ou le Brésil, mais «il s’agit quand même de violences latentes ou indirectes qui se retrouvent dans les indicateurs sur la santé, sur l’éducation, sur l’alcoolisme, sur l’accès aux terres, sur la possibilité de contribuer à une cogestion des territoires».

Le Canada: un modèle sur papier

Elle salue néanmoins les enquêtes et les rapports portant par exemple sur les femmes autochtones assassinées ou disparues, sur les pensionnats pour Autochtones. «Le Canada a fait des choses que beaucoup d’autres États n’ont pas fait. (…) Il semble qu’au niveau fédéral il y a une prise de conscience et une reconnaissance du mal, du tort, des violations qui ont été faites. Des mesures sont prises ou des recommandations sont mises en avant, des institutions sont créées, des principes sont écrits sur les consultations.»

Du même souffle, elle souligne que le principe de Joyce, nommé en mémoire de Joyce Echaquan, décédée sous les insultes racistes du personnel de l’hôpital de Joliette en septembre 2020, et qui vise notamment la mise en place de mesures de sécurisation culturelle pour les Autochtones dans le réseau de la santé et des services sociaux, représente «quelque chose de fondamental qui, pour nous, fait valeur de modèle à l’extérieur du Canada».

Le Québec pointé du doigt

Sauf qu’il y a un hic. «Quand on vient au Canada et qu’on vous dit que ces principes de Joyce, ils ne sont pas mis en oeuvre, on se dit: mais on est en train de flouer l’ensemble du monde quand on leur dit ce qui se passe, le principe de Joyce, c’est formidable, etc.»

«La mise en oeuvre pèche et elle pèche particulièrement dans cette province, poursuit-elle, implacable. Au Québec, il y a un gros souci. Au niveau fédéral, il y a une conscientisation et une reconnaissance des torts historiques. Au Québec on n’en est même pas là puisque le gouvernement actuel continue de refuser de reconnaître qu’il y a racisme systémique à l’égard des populations autochtones.

«C’est symbolique, mais ça reflète quand même un état d’esprit qui est éminemment problématique, parce que si on ne peut même pas s’entendre sur cette question-là, comment va-t-on mettre en place les principes de Joyce, les principes de Jordan, etc?»

Le principe de Jordan, lui, vise à permettre à tous les enfants des Premières Nations d’avoir accès aux produits, aux services et aux mesures de soutien nécessaires. Il a été nommé en mémoire de Jordan River Anderson, un enfant cri décédé à l’âge de cinq ans, après avoir attendu durant trois ans des soins à domicile qui ne sont jamais arrivés en raison d’un différend financier entre le gouvernement fédéral et le Manitoba. 

Québec sera-t-il assez intelligent?

Pour Mme Callamard et Amnistie internationale, l’impact des changements climatiques sur les droits des Autochtones est aussi significatif au Canada qu’ailleurs, mais elle puise de l’espoir dans les démarches comme celles annoncées mercredi par le premier ministre Justin Trudeau de remettre la gestion de quatre aires protégées totalisant près d’un million de kilomètres carrés entre les mains des communautés autochtones qui y habitent.

Pointant le projet d’aire protégée de Pipmuacan visant à protéger le caribou sur un vaste territoire chevauchant le Saguenay-Lac-Saint-Jean et la Côte-Nord, projet porté par la communauté innue, elle se demande: «Est-ce que le gouvernement du Québec sera assez intelligent pour répondre à cette demande?»

«Les belles idées, les beaux principes que nous mettons en avant à l’international comme modèles, quand on vient ici, quand on discute avec les gens, on se rend compte que leur mise en oeuvre est extrêmement lente, problématique, qu’elles se heurtent à des obstacles multiples et complexes», conclut-elle, avertissant au passage que les éventuelles aires protégées «ne doivent pas être des forteresses» inaccessibles et inutilisables par les communautés autochtones.