La forêt boréale est dans la mire des compagnie minières

MONTRÉAL — Les forêts boréales canadiennes sont parmi les plus importants puits de carbone de la planète et selon l’Institut climatique du Canada, elles séquestrent environ 28 milliards de tonnes de carbone, soit l’équivalent de quarante fois les émissions annuelles de gaz à effet de serre du Canada. Une partie significative de la forêt boréale québécoise était jusqu’à présent épargnée par les activités industrielles, mais la situation pourrait changer, car ce territoire nordique contient d’importantes quantités de minéraux critiques et stratégiques comme le lithium, qui suscitent la convoitise des industries minières.

Au Québec, la forêt boréale couvre une superficie d’environ 1 million de km2 , ce qui équivaut à 70 % du territoire. Si on trace une ligne droite imaginaire entre Rouyn-Noranda et Gaspé, la forêt boréale correspond sensiblement au territoire qui se trouve au nord de celle-ci et à une petite partie de celui qui se trouve au sud.

Plus on monte vers le nord, plus on trouve des écosystèmes qui n’ont pas encore été altérés par l’homme et qui accumulent et séquestrent depuis des siècles d’immenses quantités de carbone.

«En milieu boréal, la forêt se décompose très lentement, plus lentement qu’en milieu tropical, et donc, on a une accumulation importante de carbone qui reste dans les sols formés de matière organique morte. Et comme la forêt boréale a une superficie immense, elle joue un rôle majeur au niveau mondial dans la séquestration du carbone», a résumé Xavier Cavard, membre du Centre d’études de la forêt et titulaire de la Chaire de recherche UQAT-MFFP sur la gestion du carbone forestier.

«Avant d’exploiter cette région, il ne faut pas seulement considérer la forêt, mais aussi les sols, car les milieux humides entreposent beaucoup, beaucoup, beaucoup de carbone. Il y a énormément de carbone stocké dans les sols organiques autour de la Baie-James», a ajouté la professeure en écologie et biogéochimie forestière à l’Université Laval, Alison Munson.

Ce sont justement les sols de la forêt qui intéressent les compagnies minières. Actuellement, il y a près de 400 projets d’exploration minière dans la région de l’Eeyou Istchee, le territoire traditionnel des Cris de la Baie-James dans la forêt boréale.

On ignore combien de mines seront en activité dans les prochaines années dans le nord du Québec, mais le potentiel est là, et le gouvernement veut en tirer profit.

«La Grande Alliance», un protocole d’entente signé en 2020 entre le gouvernement du Québec et la Nation crie, prévoit un réseau ferroviaire d’environ 700 kilomètres, la construction de centaines de kilomètres de nouvelles routes et de lignes électriques et la création d’un port en eau profonde, dans la forêt boréale, afin de permettre aux minières d’avoir accès aux minéraux critiques.

«Est-ce qu’il y aura des exploitations minières en quantité suffisante pour nuire aux services écosystémiques comme la séquestration du carbone? C’est difficile à dire pour l’instant, mais il faut rester vigilant», selon le titulaire de la Chaire de recherche UQAT-MFFP sur la gestion du carbone forestier.

Éviter de répéter les erreurs du passé

Le militant écologiste et président de l’Action boréale Henri Jacob demande aux promoteurs de La Grande Alliance, formée par des délégués de la Nation crie et du gouvernement québécois, d’éviter de «faire les mêmes erreurs qu’en Abitibi», où l’industrie minière a exploité la forêt boréale «sans se soucier des prochaines générations» et pris «possession de 40 % du sol».

«Ce qui s’est passé en Abitibi depuis le début des années 1930», il faut «en tirer des leçons», car «ce qu’on voit aujourd’hui, c’est des parcs à résidus miniers, ce qu’on appelle la slam, le résidu qui va souvent dans les cours d’eau avec des métaux lourds et avec d’autres produits chimiques d’autres matières, qui fait en sorte que souvent l’environnement est vraiment dégradé de façon importante. Dans certains cas, c’est irréversible», a dénoncé l’écologiste en ajoutant «qu’il faut faire du développement minier de façon plus intelligente».

«L’exploitation des minéraux stratégiques pour faire des batteries, des véhicules électriques, en théorie ça paraît bien, mais quand on vante les vertus d’une auto électrique qui se promène sans tuyau d’échappement, donc sans émettre de CO2, on oublie de dire que pour la construire, il faudra exploiter des mines, que ce soit en Abitibi, ou plus au Nord, qui elles, génèrent énormément de CO2 durant l’exploitation. Et après l’exploitation, il ne reste plus de biodiversité sur le site minier.»

La professeure Alison Munson a un point de vue plus nuancé sur la question. «La transition énergétique va exiger des minéraux. Si on veut atteindre les cibles climatiques et les échéances qu’on s’est fixés pour arrêter les ventes de véhicules à essence, donc ça veut dire que cette transition devra être relativement rapide et pour le moment, les technologies qui sont les plus disponibles pour y arriver exigent l’extraction du lithium», a-t-elle dit..

Protéger le caribou et les espèces vulnérables

Le président de l’Action boréale signale qu’en Abitibi, et dans d’autres régions, l’industrie forestière a enlevé une grande partie de la vieille forêt et l’a remplacée par des arbres plus jeunes, privant ainsi le caribou de son habitat et de sa nourriture. Il est reconnu que les chemins forestiers représentent l’une des principales menaces à la survie du cervidé, car ils favorisent le déplacement des prédateurs naturels comme le loup. L’écologiste émet donc le souhait que les promoteurs de La Grande Alliance «planifient des fermetures de chemins» après les exploitations minières pour «que les animaux et les plantes reprennent vie».

La multiplication des routes prévue par La Grande Alliance afin de permettre aux compagnies minières d’exploiter le nord de la forêt boréale représente «un enjeu majeur» pour le caribou, selon le professeur Xavier Cavard.

«Il est extrêmement sensible à la fragmentation de son habitat» et «les perturbations causées par les routes et le transport» peuvent «vraiment affecter le bien-être des hardes» et ultimement la survie de l’espèce.

«On peut penser qu’en 2023, c’est le genre de chose qu’on va essayer d’éviter au Québec», a ajouté le titulaire de la Chaire de recherche UQAT-MFFP sur la gestion du carbone forestier.

Le plus récent inventaire de caribous forestiers de Nottoway, la principale population de caribous qui fréquente le territoire traditionnel des cris de la Baie-James, est estimé à 282 individus, comparativement à 308 en 2016.

Le déclin de cette population pourrait donc être de 8 % en six ans. Mais des modèles scientifiques qui utilisent la télémétrie satellitaire fournissent des estimations beaucoup plus pessimistes.

Ce qui fait dire à Carl Patenaude-Levasseur, directeur général de la coordination de la gestion de la faune au ministère de l’Environnement, que «l’ampleur exacte de ce déclin est difficile à établir avec certitude» et «il est possible d’estimer que l’abondance de la population pourrait avoir diminué d’un ordre de grandeur de 8 % à 28 % au cours des six dernières années».

Éviter la disparition du caribou fait partie des préoccupations des promoteurs de La Grande Alliance (LGA), du moins sur papier.

Un rapport provisoire des impacts de La Grande Alliance sur l’environnement indique que «la capacité à garantir que ces infrastructures ne provoquent pas de développement dans des zones sensibles sur le plan environnemental et culturel ou qu’elles n’augmentent pas le risque pour les espèces vulnérables est d’une grande importance pour éviter les conflits entre le développement et toutes les communautés».

Ce sont la Société de développement autochtone de la Baie James et la Société de développement crie (SDC) qui ont été mandatées par le gouvernement de la Nation crie et le gouvernement du Québec pour réaliser les études de faisabilité de La Grande Alliance et de son impact sur l’environnement.

Le rapport provisoire indique que 54 mammifères terrestres, 184 espèces d’oiseaux et 16 espèces protégées comme le béluga, le caribou et l’ours polaire fréquentent la zone à l’étude, qui s’étend entre les villes de Matagami à l’ouest, Whapmagoostui au nord et Mistissini à l’est.

Protéger 30 % du territoire cri

À l’automne, la grande cheffe de la Nation crie du Québec, Mandy Gull-Masty, avait indiqué à La Presse Canadienne que la protection des espèces, la protection du territoire et des pratiques culturelles des Cris seraient primordiales dans la mise en œuvre de La Grande Alliance, en insistant sur le fait que pour l’instant, «la Grande Alliance n’était qu’un protocole d’entente» et qu’une fois les études terminées, les membres de la nation seront à nouveau consultés «pour décider des prochaines étapes».

Malgré les conséquences environnementales de l’exploitation minière dans la forêt boréale, la professeure en écologie et biogéochimie forestière Alison Munson trouve particulièrement «intéressant» l’inclusion de la Nation crie dans le développement minier du nord du Québec.

«Ils vont avoir un contrôle sur les impacts économiques et sociaux pour leurs communautés», a souligné Alison Munson.

Un volet du protocole d’entente prévoit «la création d’un système d’aire protégée qui vise 30 % de leur territoire d’ici 2030. Les Cris vont donc identifier ce qu’ils veulent protéger pour leur chasse et pour le patrimoine culturel. Le caribou est vulnérable, mais ce sont eux qui ont les meilleures informations pour le protéger», a ajouté l’enseignante à l’Université Laval.

Selon elle, si cette alliance se concrétise, elle pourrait même servir de modèle ailleurs au pays, en rappelant que plusieurs communautés autochtones ont très peu de contrôle sur les activités industrielles qui ont lieu sur leur territoire.

Elle a donné l’exemple du Cercle de feu, un gisement de minéraux critiques situé dans une région isolée du nord de l’Ontario.

Depuis une quinzaine d’années, le gouvernement ontarien tente de développer des infrastructures routières pour l’industrie minière dans cette région de la forêt boréale, qui comptait en 2022 plus de 26 000 claims miniers actifs dans un territoire de 4972 kilomètres carrés.

Selon le gouvernement, du cuivre, du zinc, de l’or, du diamant, du nickel et d’autres minéraux sont présents dans le Cercle de feu.

«D’après ce que je constate, le gouvernement ontarien va de l’avant malgré l’objection de différentes communautés autochtones», a fait remarquer la spécialiste de la biogéochimie forestière.

La Presse Canadienne a tenté d’obtenir une entrevue avec un représentant de La Grande Alliance concernant l’impact potentiel du projet sur la biodiversité et sur la capacité de la forêt boréale à lutter contre les changements climatiques.

Le porte-parole de La Grande Alliance, Samuel Lessard, a décliné l’offre en expliquant qu’il préférait attendre les résultats des études de faisabilité prévues dans les prochaines semaines.

Le journaliste Stéphane Blais a été soutenu par la Fondation Michener, qui lui a attribué la bourse Michener-Deacon pour le journalisme d’enquête en 2022, afin de documenter les répercussions possibles de l’extraction du lithium dans le nord du Québec. Cet article est le quatrième d’une série de quatre reportages.