Les géants du tabac demandent une prolongation de la suspension des procédures
TORONTO — Trois géants du tabac cherchent encore une fois à prolonger une ordonnance de suspension des procédures judiciaires à leur encontre, alors qu’ils négocient un règlement avec leurs créanciers dans une affaire de longue date impliquant une ordonnance de versement de milliards de dollars à quelque 100 000 fumeurs et à leurs proches.
Les documents déposés auprès d’un tribunal de l’Ontario montrent que les entreprises – JTI-Macdonald Corp., Rothmans, Benson & Hedges et Imperial Tobacco Canada Ltd. – demandent que la suspension des procédures reste en vigueur jusqu’à la fin mars 2025.
La demande devait être entendue mardi, mais les documents judiciaires montrent que l’audience a été reportée au 31 octobre, la suspension étant prolongée jusqu’à cette date. Elle devait auparavant expirer lundi.
Les retards, ainsi que le manque d’informations publiques entourant l’affaire, ont suscité la colère des groupes de défense de la santé, qui affirment que les provinces pourraient rater une chance historique d’imposer des réglementations et des mesures de réduction du tabagisme à l’industrie.
Dans une déclaration sous serment, la directrice générale de Rothmans, Benson & Hedges (RBH) a déclaré que la société estime que des progrès ont été réalisés sur un certain nombre de questions au cours de la médiation.
«Cependant, il reste quelques questions importantes que RBH considère comme vitales pour tout règlement consensuel mondial des réclamations liées au tabac», a expliqué Milena Trentadue dans la déclaration sous serment, qui est incluse dans la demande de prolongation de la société.
La société continue de participer à la médiation afin de résoudre ces problèmes, a-t-elle ajouté.
«À ce stade, il est difficile de fournir une estimation précise du temps restant nécessaire pour achever ces procédures. Compte tenu du nombre de parties et des étapes à suivre et du travail à accomplir, RBH prévoit qu’il faudra au moins six mois (et peut-être plus de temps)», a fait valoir Mme Trentadue.
Les étapes restantes comprennent l’achèvement des négociations de règlement ainsi qu’un processus de réclamation, la tenue d’au moins une réunion des créanciers, l’obtention d’une ordonnance de sanction et la mise en œuvre du plan, a-t-elle déclaré.
L’ordonnance de suspension des procédures judiciaires contre les entreprises a été accordée pour la première fois au début de 2019 après que les trois sociétés aient perdu en appel dans une bataille juridique historique au Québec.
La suspension vise à maintenir le statu quo pendant que les sociétés élaborent un règlement global avec les membres du recours collectif et plusieurs autres créanciers, y compris les gouvernements provinciaux qui cherchent à récupérer les coûts des soins de santé liés au tabagisme.
La suspension initiale des procédures a duré quelques mois, mais elle a depuis été renouvelée une douzaine de fois. Les négociations sont confidentielles.
Certains groupes soutiennent que le processus de protection des créanciers est intrinsèquement problématique dans ce cas, car il se concentre sur la viabilité de l’industrie plutôt que sur la santé publique et d’autres questions.
Dans une déclaration conjointe publiée la semaine dernière, Action on Smoking & Health, Médecins pour un Canada sans fumée et la Coalition québécoise pour le contrôle du tabac ont déclaré que certaines parties des récents documents déposés par les sociétés auprès du tribunal suggèrent que les provinces «ont accepté un processus favorable à l’industrie».
«Ce processus d’insolvabilité a non seulement permis à l’industrie du tabac de continuer à ‘exploiter ses affaires normalement’ pendant cinq ans et demi, mais il semble aussi avoir accordé aux fabricants de tabac un droit de veto sur tout accord final», a affirmé Cynthia Callard, directrice générale de Médecins pour un Canada sans fumée.
«Plusieurs passages dans les requêtes des entreprises, y compris des références à un règlement ‘consensuel’, suggèrent que c’est l’industrie du tabac qui détient le gros bout du bâton, et non les créanciers, y compris les gouvernements provinciaux et les avocats spécialisés dans les recours collectifs.»
Les entreprises ont demandé la protection de leurs créanciers en Ontario après que le plus haut tribunal du Québec leur a ordonné de payer plus de 15 milliards $ à environ 100 000 Québécois dans le cadre de deux recours collectifs.
Les poursuites concernaient des fumeurs qui avaient commencé à fumer entre 1950 et 1998 et qui étaient tombés malades ou étaient devenus dépendants. Les héritiers de ces fumeurs étaient également parties aux poursuites.
Les documents judiciaires de septembre dernier suggèrent que des centaines de membres du recours collectif sont décédés depuis le début de la procédure de protection des créanciers.