Renseignement: craintes sur les répercussions des manifestations réprimées d’Ottawa

OTTAWA — Des documents récemment divulgués font croire que des responsables fédéraux du renseignement ont averti les décideurs que la dispersion par la police des manifestants du soi-disant «convoi de la liberté» à Ottawa l’hiver dernier pourrait déclencher une attaque contre un politicien ou un symbole du gouvernement.

Il est également indiqué que les influenceurs extrémistes tireraient parti du résultat des manifestations pour poursuivre le recrutement et la propagande, que les restrictions liées à la pandémie de COVID-19 aient été assouplies ou non.

Les extrémistes à motivation idéologique utiliseraient probablement les forces de l’ordre « pour encourager une vengeance violente ou comme preuve supplémentaire de la » tyrannie « du gouvernement », selon l’évaluation expliquée sur quatre pages.

La note de service partiellement caviardée, obtenue par La Presse Canadienne en vertu de la Loi sur l’accès à l’information, faisait partie de plusieurs analyses d’un organisme fédéral, le Centre intégré d’évaluation du terrorisme, produites avant, pendant et après les manifestations qui ont paralysé le centre-ville d’Ottawa pendant trois semaines à compter de la fin-janvier.

Le Centre, qui est supervisé par le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS), rassemble des professionnels de la sécurité et du renseignement de divers organismes pour rédiger des évaluations de la menace terroriste basées sur des informations classifiées, à partager avec des partenaires au pays et à l’étranger.

L’objectif est de fournir aux décideurs de haut niveau les informations les plus récentes et les plus détaillées pour évaluer le niveau global de menace et de risque.

Les manifestants, dont beaucoup avec de gros camions, ont occupé les rues du centre d’Ottawa pour protester contre les mesures de santé COVID-19 et le gouvernement libéral de Justin Trudeau. Leur venue, y compris de certains participants qui avaient des racines dans le mouvement d’extrême droite, a incité de nombreuses entreprises à fermer leurs portes et a importuné les habitants avec du bruit, des émanations de diesel et des comportements ressemblant à du harcèlement.

Le 14 février, le gouvernement a invoqué la Loi sur les mesures d’urgence qui autorisait des mesures temporaires, notamment la réglementation et l’interdiction des rassemblements publics, la désignation de lieux sûrs, l’ordre aux banques de geler les avoirs et l’interdiction de soutenir les participants.

Les autorités ont remorqué des camions, arrêté plus de 200 personnes et porté des centaines d’accusations.

Les idéologues extrémistes ont décrit la réponse de la police comme ayant été de la « brutalité » et l’utilisation de la Loi sur les mesures d’urgence comme une preuve supplémentaire de la « tyrannie » fédérale, comparant les tactiques du gouvernement à celles des dictatures étrangères, note l’évaluation du 24 février. 

Plusieurs incitations à la violence en ligne avaient fait surface, certaines laissant entendre qu’une action directe contre les politiciens, la police et même leurs familles était la seule option qui restait.

« C’est quelque chose qui arrive généralement avec ce genre de mouvements », a déclaré Barbara Perry, directrice du Centre sur la haine, les préjugés et l’extrémisme à l’Université Ontario Tech. «  Lorsque vous les repoussez, ils utilisent cela comme une preuve supplémentaire que ce sont eux qui sont attaqués, que leur évaluation est juste, qu’ils sont réduits au silence, que ce sont eux qui sont marginalisés et menacés par cet État tyrannique, comme ils aiment l’appeler. »

Le soi-disant « convoi de la liberté  » et les manifestations connexes dans les bâtiments gouvernementaux et les passages frontaliers ont alimenté les sentiments anti-autorité parmi les adeptes de l’extrémisme violent à motivation idéologique, selon l’évaluation du 24 février.

« La notion voulant que la résilience sociétale est fragile, ou que la réponse du gouvernement ou de la police justifie une résistance violente, pourrait inspirer un acteur isolé ou un petit groupe à mener une attaque opportuniste contre une personnalité politique ou un symbole du gouvernement », concluent les analystes.

«  Les partisans de l’extrémisme violent à motivation idéologique continueront d’encourager et de capitaliser sur les sentiments antigouvernementaux et les mouvements de protestation, qu’ils soient liés à la pandémie ou à d’autres problèmes, dans le but de dégrader la confiance du public et la cohésion sociale et d’attirer les personnes vulnérables vers leur idéologie. »

Les assouplissements des restrictions de santé publique pourraient calmer le mouvement de protestation, mais les personnes qui adoptent l’extrémisme violent, en particulier celles qui « veulent accélérer la disparition des ordres sociaux et politiques actuels, ne seront probablement pas apaisées », selon l’évaluation. « Les menaces contre les personnalités politiques et les symboles du gouvernement persisteront dans un avenir prévisible. »

La capitale nationale serait aussi le théâtre de manifestations de suivi, comme celle de la fin-juin qui comprenait de nombreuses personnalités impliquées dans les événements hivernaux.

« Ils ont vraiment préparé le terrain et attiré plus de gens autour d’une méfiance plus large envers le gouvernement, la science, les universitaires, les médias – toutes ces institutions », d’après Barbara Perry. « Donc, je pense qu’ils continueront à trouver des moyens d’exploiter ces angoisses, d’exploiter ces griefs qu’ils ont contribué à créer, ou du moins à exacerber. »

Le Centre intégré d’évaluation du terrorisme a commencé à suivre le convoi de camions en direction d’Ottawa dès le 26 janvier, produisant une évaluation secrète qui signalait la possibilité de violence opportuniste en marge de la manifestation. Une analyse du 3 février a révélé qu’une attaque terroriste coordonnée ou une prise d’assaut planifiée de la Colline du Parlement ou d’autres lieux fédéraux étaient peu probables.

« Le scénario lié à l’extrémisme violent le plus probable implique un acteur solitaire inspiré utilisant des armes et des ressources disponibles telles que des couteaux, des armes à feu, des explosifs artisanaux et des véhicules dans des espaces publics contre des cibles faciles, y compris des groupes d’opposition ou la population. »