Consultation en Estrie:  » Soyons rationnels « 

Le président de la Table des MRC de l’Estrie, M. Hugues Grimard invite les Estriennes et les Estriens à être rationnels. Pour changer le nom d’une région administrative, il faut un décret du gouvernement, en occurrence, celui du très nationaliste François Legault. Selon M. Grimard,  » un changement de nom est un événement très émotif « .  Il n’a pas tort. Il aurait pu ajouter que parfois et c’est le cas dans le présent débat, c’est une occasion de faire affluer un nombre impressionnant d’arguments totalement subjectifs ou totalement impossibles à justifier.

La question qui me vient à l’esprit :  » Qui a sensibilisé les membres de la table des MRC de l’Estrie présidée par M. Grimard et qui a sensibilisé le ministre responsable de l’Estrie, M. François Bonnardel, à cette idée de changer le nom de la région administrative 05 ?  » Il y a certainement quelqu’un de très important au plan économique qui va profiter largement des possibles retombées de ce changement de nom, retombées que personne n’est en mesure de déterminer et de prouver. Ce quelqu’un (un individu ou un organisme) qui a évidemment des moyens financiers énormes et des relations particulièrement efficaces ne s’embarrasse pas de petits détails historiques ou géographiques. Voyons ses arguments.

A) Favoriser l’attractivité accrochée à la version francisée de  » Eastern Townships « . Apparemment (il n’y a pas de preuve pour étayer cet argument), elle attirerait davantage de monde que le pauvre toponyme québécois  » Estrie « . Comment peut-on affirmer une telle baliverne ? Bien sûr, les gens affluent dans l’Estrie pour sa qualité de vie, mais cet argument n’appartient pas en propre à l’Estrie. Parlez-en aux régions des Laurentides ou de la Gaspésie. De plus, les gens viennent à Granby, Bromont, Magog, Orford, Coaticook et ailleurs parce qu’il y a un jardin zoologique, une montagne de ski, un lac, un parc provincial, un canyon illuminé, des entreprises florissantes, des restaurants haut de gamme, deux universités, etc.  Les gens d’ailleurs ne viennent pas dans la région à cause de son nom. Comment peut-on présenter un argument aussi faible pour ne pas dire aussi faux ?

B) Une occasion d’imposer un vocable unique c’est-à-dire l’expression francisée  » Eastern Townships « . À part d’organismes voués au tourisme, combien d’organismes publics et privés affichent cette expression dans leur titre ? Pourquoi imposer une expression anglaise francisée utilisée de façon si minoritaire et fouler au pied un mot original et bien québécois qui fait partie de nos mœurs depuis plus de 40 ans ? Pourquoi ne pas maintenir le statu quo où l’expression  » Cantons-de-l’Est  » demeurerait accrochée au tourisme et à l’autoroute 10  et conserver le mot  » Estrie  » pour toutes les autres situations publiques et privées ? Peut-être qu’une meilleure information à ce sujet permettrait aux gens de mieux comprendre cette particularité. Cette explication ne pourrait-elle pas  apparaître dans les feuillets de promotion des activités touristiques au lieu de tout chambarder sans se préoccuper des coûts engendrés par une telle opération ?  

C) Maintenir de bonnes relations entre francophones et anglophones. Est-ce que l’appellation  » Estrie  » a causé des frictions entre francophones et anglophones depuis 40 ans ? D’où vient ce besoin de rallumer le feu entre les deux communautés, un feu parfaitement éteint ? Faut-il rappeler que trop souvent la conversation entre neuf francophones et un anglophone se passera en anglais? On est comme ça les francophones québécois. Avant même que les gens de la communauté anglophone ne demandent quelque chose et parce qu’on a peur de leur déplaire, on leur fait des cadeaux. Ce sont peut-être des relents de la conquête ou d’un sentiment d’infériorité ou d’une peur congénitale qui  poussent à faire le tapis. Colonisés un jour, colonisés toujours ! Peut-être sera-t-il proposé d’ériger bientôt un monument en l’honneur du roi George III, auteur des Eastern Townships, le tout accompagné de l’Union Jack.

D) L’adoption par la CAQ de la loi 96 illustrera bientôt notre spontanéité à diluer notre pseudo nationalisme. La pensée qui a prévalu au moment de l’adoption de la loi 101 par le PQ en 1977 était celle du respect de la minorité  québécoise anglaise. C’est en s’appuyant sur cette idée que l’article 29.1 de la loi 101 a été écrit. Il a permis à certaines municipalités d’être reconnues bilingues parce que leur population comptait 50 % de citoyens de langue anglaise.  L’article 29.2 du projet de loi 96 proposée par la CAQ en 2021 permet aux municipalités qui ne sont pas conformes aux exigences de l’article 29.1 de la loi 101 de conserver leur statut de municipalités bilingues pourvu que leurs conseils municipaux adoptent une résolution dans ce sens dans les 120 jours qui suivront l’adoption de la loi 96 par la CAQ. Il est à prévoir que le petit nombre de municipalités reconnues bilingues en Estrie, (région où on retrouve à peu près 7 % d’anglophones) décideront rapidement de conserver leur statut bilingue malgré le fait que leur population anglophone soit largement inférieure à 50 %. Pas grand monde s’objectera à cette résolution; et en même temps, personne ne sera en mesure de démontrer que le caractère bilingue a joué un rôle réellement positif dans la prospérité croissante  de  leur municipalité au cours des dix ou quinze dernières années.

En conclusion, j’espère que la Commission municipale du Québec s’apercevra que les arguments pour appuyer le retour de l’expression francisée des Eastern Townships ne tiennent pas la route. Ce sont des arguments archi subjectifs, sans aucun fondement, soutenus par une gamique aux objectifs dissimulés qui exploitent le long lavage de cerveau causé par le colonialisme britannique et la profonde ignorance de l’histoire du Québec.

André Beauregard

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