Mélanie Joly a discuté de l’Ukraine avec la Chine avant sa tournée en Asie

OTTAWA — Le Canada et la Chine sont peut-être en désaccord sur de nombreux enjeux, mais l’adhésion de Pékin est somme toute essentielle sur une question clé: contribuer à mettre un terme à la guerre en Ukraine, a déclaré mardi la ministre des Affaires étrangères.

Mélanie Joly a affirmé à La Presse Canadienne qu’elle avait livré ce message lors d’un entretien téléphonique, la semaine dernière, avec son homologue chinois, Wang Yi, avant de se rendre cette semaine en Asie du Sud-Est pour un voyage visant un objectif primordial: livrer la «stratégie indopacifique» du Canada, promise depuis longtemps par le gouvernement libéral.

L’étiquette «indopacifique» constitue un raccourci diplomatique pour les politiques et les approches de la vaste région Asie-Pacifique qui visent à exclure la Chine, dans le but de faire face à son influence massive dans toute cette région.

La visite officielle de Mme Joly en Indonésie et au Vietnam intervient également alors que les pays occidentaux, en particulier les États-Unis, s’appuient sur la Chine pour qu’elle se montre plus tiède face à l’invasion de l’Ukraine par les troupes de Vladimir Poutine.

«Nous pensons que la Chine a une opportunité de s’assurer qu’elle joue un rôle constructif pour mettre fin à la guerre», a déclaré Mme Joly dans une entrevue depuis l’Indonésie cette semaine, avant son départ pour le Vietnam.

Il s’agissait du premier entretien entre les ministres des Affaires étrangères du Canada et de la Chine depuis la libération, en septembre, de Michael Kovrig et Michael Spavor. Les deux Canadiens étaient détenus en Chine depuis près de trois ans dans une affaire qui avait assombri considérablement les relations sino-canadiennes.

Les deux hommes avaient été arrêtés dans ce qui a été perçu comme des représailles de Pékin à l’arrestation par le Canada de la directrice financière chinoise Meng Wanzhou en vertu d’un mandat d’extradition américain, en 2018 à Vancouver.

L’affaire n’a été résolue que lorsque le département américain de la Justice a retiré sa demande d’extradition, ce qui a ouvert la voie à ce qui est devenu essentiellement un échange de prisonniers.

Un compte rendu de l’appel, publié par l’ambassade chinoise, précise que c’est Mme Joly qui était à l’origine de l’appel. Le communiqué montre que la Chine entretient toujours des rancunes quant au rôle du Canada dans l’arrestation et la tentative d’extradition de la directrice de Huawei. Le compte rendu indique par ailleurs peu de mouvement sur la question de l’Ukraine.

«L’essence de cette affaire est que les États-Unis ont réprimé les entreprises de haute technologie chinoises par la coercition. Un tel comportement méprisable est clairement perçu par le monde», indique le communiqué chinois. «Wang Yi a déclaré qu’aucun pays ne devrait encourager cette intimidation unilatérale.»

Concernant l’Ukraine, le ministre Wang a dit à Mme Joly que la Chine voulait que le monde «pense calmement et rationnellement» et travaille vers un cessez-le-feu et la paix. «En défendant une position objective et impartiale, la Chine continuera à jouer un rôle constructif à cet égard», indique le communiqué de l’ambassade de Chine.

Diversifier ses liens avec la région 

Les États-Unis veulent voir le Canada donner suite à une politique plus stricte envers la Chine, et dans sa lettre de mandat, en décembre, le premier ministre Justin Trudeau a chargé Mme Joly de proposer une voie à suivre. Bien que la Chine ne soit pas mentionnée nommément, la lettre demande à Mme Joly d’«élaborer et mettre en œuvre une nouvelle stratégie indopacifique exhaustive pour renforcer les partenariats en matière de diplomatie, d’économie et de défense, ainsi que l’aide internationale dans la région».

Au cours des derniers mois, le Canada a déjà pris des mesures pour diversifier ses options commerciales en Asie et dans la région indopacifique, en ouvrant des pourparlers avec l’Inde, le bloc de nations de l’ASEAN — qui comprend l’Indonésie et le Vietnam — et Taïwan, que la Chine considère comme une province séparatiste.

Le Canada a ostensiblement annoncé le début des négociations commerciales avec Taïwan après la libération de MM. Kovrig et Spavor, ce qui a irrité Pékin.

«Le principe d’une seule Chine est le fondement politique des relations sino-canadiennes. Si la question de Taïwan n’est pas traitée correctement, les relations sino-canadiennes subiront des dommages fondamentaux», indique le communiqué de l’ambassade de Chine.

«La Chine espère que le Canada adoptera une attitude et une position correctes sur les questions concernant les intérêts fondamentaux de la Chine.»

Mme Joly a déclaré que sa discussion avec son homologue Wang était «respectueuse» et «franche», mais elle a clairement indiqué qu’elle avait discuté de Taïwan et de la situation des droits des Ouïghours musulmans de souche dans la province chinoise du Xinjiang. La Chine fait face à des allégations de détention arbitraire massive, de mesures de surveillance répressive, de travail forcé et de stérilisation des Ouïghours. La Chine nie ces accusations.

La Chine est l’un des 35 pays qui se sont abstenus en mars lors du vote à l’Assemblée générale des Nations unies qui condamnait la Russie pour son agression contre l’Ukraine. Le Canada et ses alliés occidentaux faisaient partie des 141 pays qui ont voté en faveur de la résolution. L’Indonésie a voté pour, malgré la grande influence régionale de la Chine, mais le Vietnam s’est abstenu.

Mme Joly a déclaré qu’une partie de sa mission dans la région cette semaine était de renforcer la nécessité de condamner l’agression russe. Elle a vu un impact très direct de cette guerre sur la vie quotidienne des Indonésiens – le prix de l’huile de cuisson, un aliment de base dans la préparation des aliments, a considérablement augmenté dans ce pays.