Prière aux Communes: le Bloc force un débat sur la laïcité

OTTAWA — Le Bloc québécois a forcé un débat sur la laïcité mardi aux Communes en proposant de mettre fin à la lecture d’une prière au début de chaque séance de la Chambre des communes et en proposant de remplacer cette coutume par un «moment de réflexion».

«La société évolue, la société change. (…) Quand on veut être inclusif, on doit faire en sorte que les symboles et les actions le soient également», a plaidé le porte-parole du Bloc québécois en matière de laïcité, Martin Champoux, lors d’une conférence de presse.

Sa formation politique a profité de l’une de ses deux journées d’opposition pour présenter une motion qui modifierait le règlement de la Chambre des communes.

Le libellé explique que le changement est justifié parce que la Chambre «respecte les croyances et les non-croyances de l’ensemble des parlementaires ainsi que de la population».

La motion mentionne aussi l’«attachement au principe de séparation de la religion et de l’État, à la diversité des opinions et à la liberté de conscience», ainsi que le respect de «la laïcité et la neutralité religieuse de l’État et par souci d’inclusion».

Avant chaque séance, le président prend place au fauteuil et récite une prière en partie en français et en anglais. Les députés doivent se ternir debout durant ce temps.

La prière débute par les mots «Dieu tout‑puissant» et se termine par «Amen».

«Nous te prions pour notre Souveraine, la Reine Elizabeth, et le (la) Gouverneur(e) général(e), mentionne la prière. Accorde‑nous la sagesse, les connaissances et la compréhension qui nous permettront de préserver les faveurs dont jouit notre pays afin que tous puissent en profiter, ainsi que de faire de bonnes lois et prendre de sages décisions.»

Les travaux de la Chambre doivent débuter deux minutes après la lecture de la prière, selon le règlement. C’est alors que les portes sont ouvertes et que débute la télédiffusion des travaux.

Selon M. Champoux, un moment de réflexion serait «la solution idéale» pour tenir compte de ceux qui ne croient pas en une religion ou en Dieu.

Il a dit ne pas vouloir que le débat serve à «critiquer des croyances que l’on juge d’une autre époque ou que l’on juge bizarres».

La lecture d’une prière au début de chaque séance fait partie des activités de la Chambre des communes depuis 1877, mais n’est inscrite au règlement que depuis 1927.

Le Bloc québécois avait déposé une motion similaire en juin 2019. Les libéraux et les conservateurs s’y étaient opposés.

Oui, non… peut-être

Avant de se rendre à la réunion du conseil des ministres, le premier ministre Justin Trudeau a écarté la question du revers de la main en affirmant que la prière aux Communes est loin d’être la priorité de la population.

«Quand je parle aux gens dans mon comté de Papineau, aux Québécois et aux gens à travers le pays, ils me parlent du coût de la vie, des enjeux au niveau de la guerre en Ukraine, de l’inflation, des changements climatiques. C’est sur ces grands enjeux qu’on va continuer de se concentrer», a-t-il dit.

Sa ministre du Revenu national et députée de la circonscription de Gaspésie–Les Îles-de-la-Madeleine, Diane Lebouthillier, a abondé dans le même sens. «Ce n’est pas du tout une priorité», a-t-elle tranché en faisant référence au moment de prière.

Un tel débat doit avoir lieu «à un moment ou à un autre», a estimé M. Champoux, ajoutant qu’il n’y a «pas de mauvais moment» pour déposer une telle motion, une journée d’opposition servant selon lui à discuter de sujets qui n’ont pas «le temps ou la pertinence» d’être abordés normalement.

Le leader parlementaire des libéraux, Mark Holland, a soutenu qu’il trouvait «étrange» que le Bloc québécois ait choisi l’une de ses rares journées d’opposition pour soulever la question de la prière. Selon lui, il serait plus approprié de le faire au moment d’un débat annuel sur le règlement de la Chambre des communes, prévu le mois prochain.

Le whip en chef du gouvernement, Steven MacKinnon, a déclaré en mêlée de presse que les députés libéraux n’auront pas à suivre une ligne de parti et pourront voter librement, mais que le cabinet a pris position votera en bloc.

M. MacKinnon n’a pas indiqué qu’elle est cette position, mais la ministre Karina Gould a indiqué qu’elle votera contre la motion puisqu’il ne s’agit pas d’une priorité et que la prière «n’est pas spécifique à une religion».

Chez les conservateurs, le leader parlementaire, John Brassard, a signalé qu’il allait voter contre la motion bloquiste. À son avis, une journée d’opposition pour aborder cette question n’est pas la façon appropriée de procéder.

Son collègue Gérard Deltell a ajouté que c’est un enjeu qui pourrait être débattu au Comité permanent des opérations gouvernementales. Il a affirmé n’avoir jamais remarqué un inconfort des élus lors de la lecture de la prière qui, a-t-il précisé, dure moins de 30 secondes.

Par ailleurs, il s’explique mal l’idée bloquiste de remplacer la prière par un moment de réflexion puisque la prière est déjà suivie de cela. «C’est comme courir à tue-tête dans une porte ouverte pour essayer de l’ouvrir parce qu’on a déjà un moment de réflexion. Ils suggèrent de remplacer quelque chose par quelque chose qui existe déjà. Ce n’est quand même pas mineur dans l’équation!», s’est-il exclamé.

M. Deltell a aussi soutenu que les bloquistes auraient pu utiliser leur journée d’opposition pour prioriser des sujets qui préoccupent hautement les Canadiens, mentionnant l’inflation et le marché immobilier en surchauffe.

Après avoir initialement indiqué que les députés du Nouveau Parti démocratique (NPD) voteraient en faveur de la motion bloquiste, le cabinet du chef, Jagmeet Singh, a nuancé sa position et précisé que ses élus voteraient «comme ils le souhaitent». La formation dit trouver «curieux» que le Bloc ait choisi ce sujet compte tenu des enjeux jugés pressants comme l’inflation et la crise climatique.

La présidente du caucus du NPD, Jenny Kwan, a déclaré que le caucus doit débattre de la proposition. Le chef adjoint, Alexandre Boulerice, appuiera la motion puisqu’il a «toujours été en faveur de la séparation de la religion et de l’État».

Le leader parlementaire du NPD, Peter Julian, a proposé un amendement pour que soit reconnu avant le moment de réflexion que les travaux de la Chambre des communes se déroulent sur des terres autochtones. La proposition d’amendement a été rejetée par le député Champoux, ce qui a empêché que l’amendement soit proposé.

À l’Assemblée nationale du Québec, la prière a cessé d’être lue en 1976 et a été remplacée par un moment de recueillement.

Le vote sur la motion du Bloc québécois doit avoir lieu mercredi.

– Avec des informations d’Émilie Bergeron