De plus en plus d’employeurs se font « ghoster »
EMPLOI. Un récent rapport de la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI) indique que 37 % des propriétaires de PME affirment que des candidats ne se sont pas présentés à leur entrevue ou ont abandonné le processus d’embauche sans donner signe de vie au cours des 12derniers mois. Un phénomène préoccupant qui touche également des entreprises bien établies à Granby.
Pour Serge Ouellet, propriétaire des Entreprises Cadorette à Granby, le phénomène du « ghosting » des candidats et des nouveaux employés a débuté précisément le 13 mars 2020 (pandémie de COVID-19), au décret gouvernemental annonçant la fermeture de plusieurs établissements tels les écoles et les services de garde. Parallèlement, les Québécois s’apprêtaient également à recevoir les premiers chèques de la Prestation canadienne d’urgence (PCU). « C’est là que ç’a commencé. Ce qu’on note, c’est depuis ce temps-là, il n’y a plus aucune fidélité, on engage les gens, ils passent les tests médicaux, on remplit le contrat avec le salaire, tout est beau et ils nous mentionnent qu’ils vont être là, mais arriver au lundi, personne ne rentre, sans aucun retour ni avertissement. C’est fait d’une façon déplorable », se désole M. Ouellet.
Du côté d’Émergence, une société de stratège en management de talent, et qui possède des bureaux à Granby, le phénomène pouvait être observé avant la pandémie chez certains commerçants, dans la restauration et dans certains postes d’entrée dans le secteur manufacturier. « La tendance s’est ensuite intensifiée durant la pandémie, mais depuis un an environ, c’est devenu un phénomène qui touche également les professionnels et les postes de cadres, ce qu’on ne voyait pas avant », confie Josée Marcotte, présidente d’Émergence.
En plus des postes élevés dans la hiérarchie qui sont également touchés, on note chez les Entreprises Cadorette que même la barrière d’âge a été brisée. « Avant, on remarquait que ce phénomène touchait principalement les 18-40 ans, mais là on s’aperçoit que ça touche tout le monde, même des gens de 60-62 ans. Il n’y a plus aucune fidélité », mentionne M. Ouellet visiblement découragé.
Et pour cause, ce phénomène engendre beaucoup de frustration dans les entreprises et notamment au sein des équipes qui doivent, dans plusieurs cas, travailler davantage pour pallier les problèmes de main-d’œuvre en attendant l’arrivée de nouvelles ressources. « Pour les entreprises, c’est du temps de gestion perdu, et c’est du découragement dans les équipes à l’interne qui espèrent la venue de nouvelles ressources pour les aider. Ça amène une frustration et de l’épuisement supplémentaire pour les employés », confirme la présidente d’Émergence.
Et si le ghosting touche particulièrement les entreprises, les entreprises chasseuses de têtes comme Émergence se voient également affectées, étant donné qu’elles sont rémunérées qu’une fois le candidat sélectionné entre en poste. « On peut avoir travaillé des dizaines et des dizaines d’heures pour finalement être obligé de recommencer sans être rémunéré. Au-delà de ça, ça prend beaucoup de temps et de détermination de la part des équipes qui reprennent le processus et qui doivent recommuniquer avec des candidats sur le marché. C’est donc difficile pour les humains qui travaillent derrière, et ça occasionne des délais importants chez le client », indique Mme Marcotte.
Un phénomène aux multiples sources
Mais comment réellement expliquer ce phénomène? La multiplicité des emplois et le faible taux de chômage peuvent certainement apporter un début d’explication. Selon Mme Marcotte, la balance penche clairement en faveur de l’employé. « Je crois que la pénurie de main-d’œuvre fait en sorte que les employés se sentent un peu tout puissants, c’est eux qui ont le gros bout du bâton. Il n’y a plus cette relation « donnant-donnant » qui les obligeait à aviser les employeurs quand ça ne fonctionne pas. Les gens se disent simplement: « ce n’est pas grave, je vais aller sur la rue d’à côté et je trouverai forcément autre chose », sans avoir à donner d’explications. »
« Les employés ne donnent même plus de délais. Est-ce que c’est dû aux normes de travail qui sont axés principalement sur l’employé ? je n’en sais rien, mais il va falloir que ça change parce que les entreprises sont en train de se robotiser et de s’automatiser, on est en train de bâtir des entreprises qui n’auront plus besoin d’employés, et un jour, ça va faire mal au système » , ajoute M Ouellet.
Si ce dernier est si découragé, c’est qu’il ne possède aucun recours pour contrer le ghosting des candidats. « Oui, les employeurs ont très peu de recours. Il n’y a pas de normes des deux semaines de préavis, tout ça s’inscrit dans les normes du travail pour protéger l’employé. Dans la loi, il n’y a rien qui protège l’employeur, sauf ce qui précise qu’un employé devrait donner un préavis raisonnable (lorsqu’il quitte un poste) pour permettre à l’employeur de se tourner de bord. Mais dans les faits, c’est peu ou pas applicable », explique Mme Marcotte.
Quelles alternatives ?
Chez les Entreprises Cadorette, on mise davantage sur la robotisation et l’automatisation des équipements pour contrer le manque d’employés. Alors qu’il y a quelques années cette perspective représentait une véritable menace pour certains employés, la robotisation devient une alternative très intéressante pour les employeurs qui peuvent remplacer plusieurs personnes par quart de travail. « Chez nous, une machine équivaut à 16 personnes. Ça ne demande aucunement l’aide de l’employeur, elle est toujours là, il n’y a aucune raison qu’elle ne se présente pas, et en plus, il n’y a aucun problème au niveau des normes du travail avec ça » , ironise M. Ouellet.
Si la robotisation et l’automatisation permettent à certaines entreprises de s’en sortir avec un effectif réduit, il ne s’agit pas du cas de toutes les sociétés et de tous les commerces qui doivent agir autrement pour trouver des alternatives. Alors qu’il ne semble y avoir aucune solution miracle afin d’enrayer complètement le ghosting, la spécialiste des ressources humaines recommande à ses clients d’adopter de bonnes pratiques en ressources humaines afin de minimiser l’impact de ce fléau des employeurs. « Quand on est en processus d’embauche, il s’agit de retourner les appels rapidement, de rester en communication constante avec le candidat, de lui faire goûter la culture de l’entreprise avant qu’il ne s’engage pour lui donner envie d’y être. Il s’agit de créer une expérience qui génère de la curiosité et de l’envie de candidat de joindre l’équipe » , indique la spécialiste des ressources humaines.
Et une fois que ce processus est engagé, il s’agira ensuite de miser sur l’accueil et l’intégration. « Il faut par exemple s’assurer que la personne ne mange pas seule durant les premières semaines, qu’elle soit prise en charge et que les ressources humaines fassent un suivi durant les premières journées pour voir comment ça va. La communication doit être constante, pour que s’il y’a un problème ou une insatisfaction, on soit capable de régler le problème dès le départ » , ajoute Mme Marcotte. « On favorise toujours une approche positive avec le talent, pour lui assurer que si l’emploi ne convient pas, c’est super correct, notre but est de faire de bons jumelages et d’éviter que les candidats soient déçus de leur emploi. En revanche, il suffit juste de nous aviser. Nous avons cette transparence envers nos candidats et on attend la même chose de leur part » , précise-t-elle.
Malgré le découragement, Serge Ouellet espère tout de même une intervention des différents paliers gouvernementaux pour donner un coup de pouce aux employeurs. « Il va falloir qu’il y’ait une régulation au niveau des normes parce que les employeurs commencent à être tannés et sont en train de virer leur chapeau de bord. On est en train de tout robotiser nos entreprises et dans le futur, ça va toucher la clientèle qui se cherchera des emplois » , exprime M. Ouellet.