Initiation à la désobéissance civile

Blocage de sites, chaînes humaines, fabrication de bannières, réseautage, formation juridique, comment réagir à une arrestation et planification d’une action pacifiste. Les rudiments de la désobéissance civile ont été enseignés par Greenpeace à quelques dizaines de militants lors d’un camp à Dunham, le week-end dernier. Incognito, GranbyExpress.com y a participé.

Au son du rythme d’un tam-tam, les autos arrivent une à une au Hameau L’Oasis de Dunham, vendredi, vers 18h. Plusieurs personnes sortent des véhicules et il semble que l’invitation au covoiturage ait été suivie par la majorité des participants. Beaucoup de jeunes, arborant le carré rouge, mais aussi des gens plus âgés passeront la fin de semaine ensemble pour apprendre les subtilités de l’action civile non violente. Quelques fumeurs discutent tranquillement. Une jeune fille sort la tête d’une fourgonnette et annonce du dépit dans la voix: «La grève est finie!» Les gens se saluent, se présentent. Ils viennent de Montréal, Sherbrooke, Québec, Frelighsburg ou Lac-Brome. 

Aux environs de 19h, le groupe entre dans une bâtisse où des chaises sont disposées en rang. Thibault Rhen, responsable des bénévoles à Greenpeace, souhaite la bienvenue à tous. Ensuite, Frédéric Bleau, responsable de la recherche et de la logistique pour le même organisme, prend la parole. Il explique les origines de l’organisation et ses principes fondateurs tels que la non-violence et l’indépendance. Laure Waridel, cofondatrice d’Équiterre, est présente à titre d’invitée. Elle prend la parole et commence son discours par une citation de Berthold Brecht: «Ceux qui luttent ne sont pas sûrs de gagner, mais ceux qui ne luttent pas ont déjà perdu.» Elle explique pourquoi, après un engagement essentiellement positif, elle considère que l’action directe non violente est toujours utile dans un système qui par sa nature même, et ce, malgré la floraison encourageante d’une quantité de belles réalisations citoyennes, résiste toujours à un changement profond. Enfin, Philippe Duhamel, de Schiste 911, livre un témoignage passionné sur l’importance d’agir, notamment pour obtenir un moratoire sur l’exploitation des gaz de schiste. «Nous ne devons pas être des messagers de mauvaises nouvelles déprimantes, mais bien des messagers de la vie! Bonne révolution!»

Samedi matin, 9h. Tous sont invités à se présenter et à expliquer à quelles causes ils s’intéressent lors d’une activité de rencontres éclair. Plusieurs sont bénévoles pour Greenpeace, d’autres sont étudiants et un certain nombre ont à cœur des causes plus précises telles que l’étiquetage des OGM, l’interdiction des usines à chiots ou l’avènement d’une démocratie québécoise sans partis politiques. Ces gens d’horizons et d’âges différents, tous résolument à gauche dans leurs convictions, partagent un sentiment commun: il y a urgence d’agir sur plusieurs fronts et les méthodes institutionnelles ne sont pas toujours suffisantes pour y arriver.

Sur le coup de 9h30, place aux cours théoriques sur l’histoire et la pratique de la désobéissance civile. Nous apprenons au fil des oraisons que les «professeurs» sont des activistes actifs et ont participé à plusieurs gestes d’éclat. Ils insistent plusieurs fois sur le caractère absolument pacifiste de leur organisation. «Les policiers devant vous ne sont pas des ennemis, ils ne sont que des fonctionnaires qui font leur travail», rappelle Frédéric.

Fin d’après-midi. La trentaine de participants se sépare en trois groupes pour les premiers cours pratiques. Mon équipe se dirige vers l’arrière d’un bâtiment où Frédéric (Bleau) nous enseigne l’ABC des techniques de blocage d’une route ou d’un accès. Nous formons des chaînes humaines qui peuvent servir lors de différentes situations. Ensuite, nous tentons tour à tour de défaire la barrière des autres. Légères bousculades, fous rires et bras douloureux s’ensuivent. Nous nous dirigeons ensuite à l’atelier de contrôle verbal et langage corporel qui consiste essentiellement à garder une attitude calme, digne et pacifique face à des individus en colère (policiers, agents de sécurité ou travailleurs potentiels). Notre dernière mise en situation nous apprend quelle posture adopter pour éviter les blessures si nous décidons de ne pas coopérer lors d’une arrestation. «Il est préférable de ne pas porter de bijoux, d’avoir les cheveux attachés et des vêtements longs, mais assez ajustés. Il fait souvent froid en prison…», atteste Mélissa (nom fictif).

Dimanche matin, 9h. Cours théorique juridique pour démystifier l’arrestation, la détention et le jugement. 11h30, atelier sur les communications à l’extérieur. Philippe nous questionne sur les avantages et inconvénients à coopérer avec les journalistes. «Ça me peine beaucoup de voir que certains mouvements refusent de parler aux médias. Je crois qu’il y a plus de pour que de contre à le faire», soutient-il.

13h. Le groupe est mis en situation pour la simulation d’une action. Notre mission: bloquer l’accès à un site de forage fictif. Les organisateurs nous allouent quinze minutes pour élaborer une stratégie efficace. Après une discussion animée, nous décidons de bloquer l’accès au site de forage par trois chaînes humaines parallèles. Au signal, l’action commence. Des travailleurs nous apostrophent en criant. Des agents de sécurité tentent de nous repousser assez brutalement. Les esprits s’échauffent. Nous nous rendons finalement au site où nous formons notre barrage humain, assis par terre, accrochés les uns aux autres. Il fait chaud et la position est inconfortable. Des policiers arrivent et bousculent les porteurs de la banderole. Un énorme chien danois qui assiste à la scène ne comprend pas qu’il s’agit d’une fiction, s’agite nerveusement et prend l’avant-bras d’une jeune femme dans sa gueule. Un temps d’arrêt est décrété, le temps d’enfermer l’animal à l’intérieur d’un bâtiment. La scène reprend. Les policiers arrêtent les manifestants. Ils les attachent, les bras derrière le dos, à l’aide de tie-wrap en plastique et les entassent dans une fourgonnette surchauffée. Même si nous sommes tous au courant du caractère fictif de la situation, la tension est palpable. Quiconque vit un inconfort a le droit de se retirer à tout moment de l’expérience, ce que personne ne fera à part moi et une dame plus âgée. Nous ne tenons pas à nous faire arrêter et traîner par terre…

Après un retour sur cette expérience intense où plusieurs des participants semblent déçus de la performance du groupe, la fin de semaine se termine sur un mot encourageant des organisateurs. «Ça demande beaucoup d’énergie, mais c’est toujours une belle expérience», conclut Thibault. Une affiche au mur souhaite à tous un bon retour à la maison, plus forts, solidaires et organisés. Je ne peux m’empêcher d’ajouter en mon for intérieur «en toute sécurité et en toute légalité…»