Le portrait d’un hiver dur et des concitoyens qui n’échappent pas à la réalité de la rue

Communautaire. COMMUNAUTAIRE. Les personnes en situation d’itinérance sont souvent victimes des stéréotypes auxquels la population, en général, est exposée. S’il est aisé de croire que tous sont à mendier, ou encore, à consommer des drogues dans les ruelles sombres des grandes villes, il existe aussi le phénomène d’itinérance « cachée ». Cette forme d’itinérance, qui représente une autre strate de cette communauté, reflète bien la réalité de cette situation à Granby.  

« On parle surtout d’itinérance cachée. C’est-à-dire des gens qui vont se loger à gauche et à droite et vivre parfois des épisodes d’itinérance dans la rue. » C’est dans ces termes qu’est décrite l’itinérance « cachée », la forme prédominante à Granby (autour de 90%), selon le directeur de la maison d’hébergement pour personne en difficulté Le Passant, Steve Bouthillier. 

L’itinérance a toujours été un sujet que personne ne voulait évoquer ni même constater. Durant ses 22 années au sein de la maison d’hébergement, M. Bouthillier souligne avoir vu plusieurs administrations municipales passer, et si aujourd’hui la Ville reconnaît et prend acte qu’il y a des personnes aux prises avec cette problématique à Granby, la situation n’a pas toujours ainsi:

« Quand je suis arrivé il y a 20 ans, il n’était pas question pour la Ville de reconnaître l’existence de l’itinérance dans notre ville. C’était juste à Montréal, ici il n’y avait pas d’itinérance. Les problèmes qu’apporte le fait de nier la situation sont, entre autres, que lorsque le problème »n’existe pas« , tu ne prends pas les mesures nécessaires pour contrer. »

La récurrence

Ce qui persiste encore aujourd’hui dans notre société, aux dires de M. Bouthillier, est l’image qu’ont les gens de l’itinérance. Effectivement, s’il est admis aujourd’hui que des gens sont sans domicile fixe, le directeur se voit un peu consterné d’entendre les citoyens répéter maintes fois le même discours: « le monde va souvent dire »ben si ça va pas, va travailler [sic] !« Seulement dans la réalité, ça ne marche pas toujours comme ça. » 

Le dirigeant de Le Passant insiste d’ailleurs sur la démystification de l’itinérance: 

« La situation d’itinérance n’est pas liée à l’image. Des gens qui ont déjà eu des carrières impressionnantes ont connu une ou des périodes d’itinérance dans leur vie. D’abord, il faut arrêter de voir la personne en termes de problème (au sens de problème personnel), mais en termes de personne, et ensuite, identifier la problématique qui a mené l’individu en situation d’itinérance. »

La situation sanitaire, une plus-value non désirée

À plusieurs reprises, chacun peut être enclin à attribuer à la crise sanitaire son lot de malheurs. Cependant, au niveau de la précarité, cette dernière en a fait basculer plus d’un de l’autre côté de la ligne entre survivre et se retrouver à la rue. M. Bouthillier est à même de le constater, d’après la clientèle qu’il soutient: 

« Les personnes qui étaient proches du seuil de la pauvreté, avec les augmentations que la pandémie a provoquées, sont tombées en situation d’itinérance. Autrement dit, pour ceux qui étaient déjà sur la ligne, ils se retrouvent maintenant de l’autre côté de la ligne »  

À la maison Le Passant, près de la moitié de la clientèle accueillie l’année dernière a recouru aux services offerts durant les deux derniers mois de celle-ci. Une aide de la Ville de Granby, à hauteur d’environ 18 000 $, leur a d’ailleurs permis d’ouvrir cinq lits supplémentaires.

Une halte qui souligne un incontournable

Si, comme décrit plus haut, Granby connaît majoritairement des personnes en situation d’itinérance cachée, il reste environ 10% de cette clientèle qui vivent dans la rue et doivent faire face à la réalité des intempéries. Comme la dernière semaine a été particulièrement froide, le Granby Express allé sur le terrain pour constater la réalité des principaux intéressés. 

Ouverte depuis le 14 janvier dernier due à une initiative de la Ville, la halte-chaleur est un des endroits visités par le journal. Lors de notre passage, environ quatre personnes y étaient pour bénéficier d’une collation, ainsi que d’une boisson chaude. Deux d’entre eux ont accepté de livrer leur expérience et de se confier sur la réalité qui est la leur. 

Alexandre (nom fictif) vit dans la rue depuis plus de dix années, dont la majorité s’est déroulée à Montréal. À Granby depuis plus de deux ans, il se dit frappé par l’aveuglement volontaire dont ferait preuve la population. « À Montréal, je fais deux coins de rue et les gens me donnent de la monnaie, ici, ils ne me regardent même pas. » Interrogé sur les circonstances qui l’ont mené dans sa position actuelle, la réponse d’Alexandre était un peu évasive. Ses parents seraient décédés – impossible de savoir s’il parlait au figuré ou littéralement – lorsqu’il était jeune, et depuis, il aurait trouvé réconfort auprès de sa deuxième mère. Lorsque le sujet est approfondi, ses projets d’avenir ne semblent pas exprimer de désirs d’émancipation de la rue. « Je repars pour Montréal. Là-bas, je connais mon monde, j’ai mes »spots« où je sais qu’on me donnera quelque chose et j’ai plus de moyen. »

Samuel (nom fictif) vient de la région. Il a épuisé son chômage et admet très ouvertement devoir de l’argent à l’aide sociale, pour ne pas avoir déclaré qu’il travaillait. « J’avais le choix entre manger ou ne pas manger. J’ai pris ma décision et je l’assume, mais là, j’ai 200 piasses de coupées sur mon chèque [sic]. » Samuel retirait environ 800 $, maintenant il en retire 500. Une chambre de 550 $ par mois lui a été offerte, mais sans même la louer, son budget est déjà dépassé. En attente d’une biopsie pour une masse au cerveau, l’homme dans la vingtaine attend toujours des nouvelles de cet autre dossier. « J’ai essayé d’avoir plus d’information sur ce sujet, mais je n’arrive à rien, et en plus, c’est à Sherbrooke. Pour moi, c’est compliqué me déplacer là-bas, et même, de faire le suivi de mon dossier. » Questionné sur ses perspectives d’avenir, à l’instar d’Alexandre plus haut, son discours était plutôt pessimiste.