Lily, une fripouille qui défie les statistiques

Il y a de ces gens qui dégagent une aura énergisante. Qui peuvent traverser des embûches par leur simple force vitale sans autre explication. C’est le cas de la propriétaire de Lily Fripouille, Nancy Beauchamp de son vrai nom, une « fripeuse » de Granby qui ne laisse pas en reste ceux qui tendent l’oreille pour écouter son récit.

« Avant d’avoir la friperie j’ai fait beaucoup de métiers. Ensuite, je suis retournée à un hobby que ma mère entretenait lorsque j’étais enfant, redonner une deuxième vie aux objets. J’ai donc ouvert ma première friperie à Bromont et depuis l’aventure se poursuit. »

L’histoire de Mme Beauchamp est de celle qui défie tout entendement. Celle qui nous permet, même devant l’adversité ou ce qui est pris comme des a priori, de garder espoir et nous rappeler qu’il reste toujours une place pour le champ des possibles autant que faire se peut. Nonobstant le fait que chacun peut vivre une épreuve de façon ardue selon l’expérience qui lui est propre, il est tout de même bien de se rappeler certaines épreuves que d’autres ont traversées, tout en se relevant dignement. 

Élevée par une mère monoparentale dans un Québec en construction qui est encore loin de l’État social-démocrate qu’il deviendra, c’est dans l’austérité financière que Nancy Beauchamp grandira. Le père, comme plusieurs patriarches, d’ailleurs, entre la perte du pouvoir moral de l’Église et « l’étatisation de la vertu », a foutu le camp et n’assume ni son rôle de paternel ni la charge financière de sa famille. Sa mère étant à « bout de souffle », elle et sa fratrie finiront leur enfance en famille d’accueil, séparés les uns des autres. 

Le décompte

Adulte, elle doit se construire selon les normes sociales qu’elle a acquises d’elle-même. C’est donc avec un lourd bagage à traîner que la jeune adulte, Nancy Beauchamp, s’apprête à affronter le monde devant-elle. Seulement, le destin a un sens de l’humour qu’il est souvent le seul à trouver drôle!

Les médecins mettent fin à ses rêves de famille. Elle ne pourra pas avoir d’enfant et c’est ainsi qu’elle doit l’accepter. L’adage dit que le ciel donne ses plus durs combats à ses plus forts sujets, alors c’est avec une brique de plus dans son sac que Nancy doit poursuivre son chemin vers l’avant. Au fil des ans, l’adulescente fait place à la femme qu’elle devient. Les méandres du temps ne l’ayant pas soustrait à la vue perçante du destin, la maladie se met de la partie. Du cancer, les spécialistes lui donnent deux années. C’est un délai très court quand on est devant le fait accompli. Deux ans, 24 mois, 104 semaines et qu’on se le tienne pour dit, en jours comme en semaines, le décompte résonne dans la tête de la personne concernée. C’est court, très court quand on espère encore une quarantaine d’années.

Un brin de vie qui change tout

Mme Beauchamp commence les fameux traitements, avec le mince espoir qu’on lui autorise. Il vient un instant, lorsque les drames s’empilent, où la résilience se transforme en conviction. La conviction que rien de bon ne nous attend d’une manière ou d’une autre. Par contre, si la vie a trouvé son chemin jusqu’au fond des océans, n’est-il pas possible qu’elle s’en fraye un dans l’obscurité de l’esprit aussi.

Après plusieurs cycles de traitement, le soleil se pointe. À l’incrédulité des médecins se joint celle de la patiente. Malgré sa supposée infertilité, c’est en plein cœur de sa chimiothérapie qu’elle apprend l’impossible. Nancy Beauchamp sera maman! Eh boum! la vie en avait pas fini avec elle. Sa petite fille n’a aucune séquelle de la chimio, une belle petite fille qu’elle nommera… Lily!

Friper je veux bien, mais pourquoi?

Nancy a confié au Granby Express que dès lors qu’elle était toute jeune, sa mère, surtout par nécessité, recyclait leurs vêtements, les accessoires scolaires, ou encore, tous les objets qui pouvaient avoir une seconde vie. Ainsi, après avoir exercé plusieurs métiers, entre autres, celui de coiffeuse, l’enfant en elle a ressorti ses souvenirs pour lui insuffler une vocation… fripé.

« C’est quelque chose que notre mère nous a inculqué jeune, comme valeur. Recycler les choses et leur donner une deuxième vie. Alors, d’une certaine manière, j’ai toujours fripé! » Conclut-elle en répondant à une cliente.

Retaper du linge… et des gens aussi

Nancy Beauchamp utilise sa friperie à des fins philanthropiques ou plutôt, humanitaires, car elle n’en fait guère grand bruit et n’est pas officiellement associée à un organisme:

« J’aide souvent des femmes battues, ou encore, des femmes dans le cercle de la prostitution ou qui vivent une situation qui les dépasse. Par exemple, une jeune fille, toute jeune, est venue me voir parce qu’elle n’avait que des tenues affriolantes. Elle voulait refaire sa garde-robe, mais son pimp lui avait noirci les yeux. Elle était gênée de se présenter ainsi en public. Eh bien! on l’a fait entrer par la porte arrière où elle a pu magasiner sans montrer ses yeux violentés. »

La propriétaire de Lily Fripouille fait, en somme, ce que nous devrions, peut-être, tous faire. Tourner le regard n’efface pas les problèmes sociaux. Ces petits gestes ont peut-être remis de l’optimisme dans l’existence de cette jeune dame, qui sait!