Sa mère meurt du C. Difficile, sa fille se vide le coeur
SANTÉ. Contamination croisée, soins déficients et chute non déclarée. Joyce Arsenault, une infirmière qui a vu sa mère mourir de la bactérie Clostridium difficile (C. Difficile) au terme d’atroces souffrances le 2 juin dernier, met en doute certaines pratiques qu’elle aurait observées lors des soins prodigués à sa mère au 5e étage du Centre hospitalier de Granby (CHG).
Albina Caron-Arsenault, une dame de 79 ans qui souffrait d’un cancer de la moelle osseuse, a été hospitalisée au mois de mai. «Elle a eu un traitement de chimio et ça a éliminé toutes ses plaquettes, ses globules blancs et ses globules rouges [de son sang]. Elle a développé une pneumonie, c’est pour ça qu’elle a été hospitalisée», raconte Joyce Arsenault, la fille de la patiente. Le système immunitaire de sa mère était à plat, elle a donc été placée dans une chambre, en isolement. «Dans un cas comme ça, ils isolent les gens pour les protéger», précise Mme Arsenault, qui est une infirmière rattachée au CIUSSS du Centre-Ouest-de-l’Île-de-Montréal.
Durant sa période d’isolement, Mme Caron-Arsenault aurait séjourné dans une chambre voisine d’un patient atteint d’une bactérie, ce que déplore sa fille. «Ils auraient dû déplacer les cas de C. Difficile et de SARM dans une autre chambre ou placer ma mère plus loin, pas côte à côte. C’est incompréhensible, c’est incroyable», lance Joyce Arsenault, qui a accepté de se confier au Granby Express au lendemain du décès de sa mère.
De plus, durant le séjour hospitalier de sa mère, elle prétend avoir observé les membres du personnel de soins et elle n’a pas aimé ce qu’elle a vu. «Le personnel passait d’une chambre [d’isolement] à une autre sans revêtir les vêtements de protection. Elle a été contaminée par une contamination croisée», dit-elle. «Je ne dis pas que toutes les infirmières ne s’habillaient pas et ne se lavaient pas les mains, mais j’en ai vu. Et ça ne devrait même pas se faire.»
C. Difficile
Durant son séjour à l’hôpital, l’état de santé d’Albina Caron-Arsenault s’est amélioré, si bien que l’isolement de la septuagénaire a été levé. «Elle était quand même fragile», note Joyce Arsenault, qui réside à Mirabel, mais qui était continuellement au chevet de sa mère.
«J’ai vu ma mère prendre du mieux et ensuite, piquer du nez.» L’abdomen d’Albina Caron-Arsenault a commencé à durcir et à se distendre. Si la dame ne souffrait pas de diarrhées communes au Clostridium difficile, elle a fait de la fièvre et souffrait de maux abdominaux. «Ils ont suspecté le Clostridium difficile, mais elle était asymptomatique», précise sa fille. «J’ai parlé avec la microbiologiste et elle est convaincue que c’était le Clostridium difficile parce que ma mère a répondu au traitement qu’elle a reçu [pour traiter ça]», indique Mme Arsenault.
Sa mère, dit-elle, était consciente qu’elle allait mourir. «Quand le médecin lui a dit qu’ils avaient tout essayé et qu’il n’y avait plus rien à faire, elle a dit "m’a me laisser mourir"», relate Joyce Arsenault, en pleurs au bout du fil. «Je lui avais promis qu’on sortirait de l’hôpital ensemble. On n’est pas sorti par la même porte.»
Les déboires de Joyce Arsenault avec le personnel se sont poursuivis jusque sur le lit de mort de sa mère. «J’avais demandé aux médecins de lui préparer des protocoles et à 4h15, [quand je suis arrivée le 2 juin], ils [les membres du personnel infirmier] ne voulaient pas lui donner. Il a fallu s’obstiner jusqu’à la fin. Elle est morte à 5h32. C’est ça les conditions dans lesquelles elle est morte.» Joyce Arsenault déclare qu’elle ne compte pas intenter de recours contre l’hôpital. «Je veux seulement mettre à jour cette situation. Je n’ai pas d’énergie à mettre dans un recours, mais je veux en parler.»
Réaction
Joyce Arsenault raconte qu’elle a posé des questions à plusieurs reprises aux membres du personnel de soins pour connaître le nombre de cas de Clostridium difficile sur l’étage où était soignée sa mère. «Quand je posais des questions, on ne me disait jamais la même chose. Au début, peut-être un cas en suspicion. Après, un cas et là, trois gros cas. À la suite de la décompensation de ma mère, ils ont fermé l’étage et désinfecté chambre par chambre. Je pense que sans le décès de ma mère, ça aurait niaisé.» Elle déplore aussi le fait que l’éclosion ne soit pas affichée dans le hall d’entrée de l’hôpital, mais seulement qu’à l’étage visé. «Je trouve qu’il y a un manque dans la prévention. Je vis ma peine, je vis ma rage.»
Précisions que selon les normes gouvernementales, une éclosion de C. Difficile est désignée au CHG lorsque trois cas et plus sont diagnostiqués par période de quatre semaines. Et pour déclarer la fin d’une éclosion, le CHG doit avoir deux mois consécutifs avec un niveau «normal» de C. Difficile, c’est-à-dire entre zéro et deux cas par période.
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L’Hôpital de Granby esquive les allégations
Une éclosion de C. Difficile est en cours au 5e étage du CHG depuis le 1er juin et le décès de la patiente Albina Caron-Arsenault y est relié, confirme le département des communications de l’Hôpital de Granby.
Quant aux allégations formulées par la fille d’Albina Caron-Arsenault, Joan Beauchamp, conseillère aux communications au Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux (CIUSSS) de l’Estrie – CHUS, Hôpital de Granby, y répond en indiquant «qu’aucune plainte officielle n’a été formulée par la famille ou par une autre personne». La porte-parole mentionne également que le dossier médical des patients est confidentiel, elle ne peut donc pas commenter le décès.
Plus de détails dans l’édition papier du Granby Express.