Déboisement rue Providence : après la désillusion, la réflexion

ENVIRONNEMENT. Le déboisement d’un terrain sur la rue Providence, à Granby, initié pour la construction d’une maison d’ainés, avait soulevé bien des réactions. Entre colère et déception, la Dre Mirabelle Kelly, spécialiste en microbiologie médicale et infectiologie, et ambassadrice du Plan Nous de la SNAP (Société pour la Nature et les Parcs du Canada), croit qu’il est préférable de tourner la page et de réfléchir à l’avenir.

S’exprimant d’abord à titre de citoyenne, Mme Kelly regrette qu’il n’y ait pas eu de consultation plus élargie auprès des citoyens de -Granby pour décider de l’avenir de ce boisé. « L’enjeu du déboisement n’était pas clairement identifié, il n’y a pas eu de consultation publique par rapport au déboisement. On parle d’un endroit public et qui appartient au gouvernement, c’est à eux de montrer l’exemple », a confié l’ambassadrice de la -SNAP.

Outre les dégâts écologiques induits, la Dre se pose également des questions sur le coût du projet par rapport à la valeur écosystémique des arbres. « On ne comptabilise pas la valeur des arbres par rapport à leur capacité de filtration de la pollution, de la production d’oxygène pour la population, de la rétention de la biodiversité dans la ville ainsi que la filtration et la captation de l’eau dans le sol », a précisé Mme Kelly.

« Si tout cela avait été pris en compte, je ne pense pas que le projet se serait fait (…) même si c’est un petit boisé. Si tous ces éléments ne sont pas pris en compte par nos élus et nos dirigeants, et ce, à tous les niveaux, comment -peut-on alors avoir confiance qu’ils seront pris en considération par le citoyen ? » s’est interrogé la Granbyenne.

Et la politique de l’arbre dans tout ça ?

En 2019, la -Ville de Granby s’était dotée d’une Politique de l’Arbre. Découlant du Plan environnement 20202023, cette politique permet de « reconnaître le rôle crucial des arbres présents dans le périmètre urbain ; présenter le portrait de la canopée urbaine (soit la portion du territoire urbain recouvert par les arbres) ; expliquer les enjeux de protection et de bonification de la forêt urbaine et définir les objectifs et les cibles à atteindre pour améliorer la qualité de la forêt urbaine », peut-on lire dans le rapport. « Quand elle est sortie en 2019, je ne la trouvais pas assez agressive. Dans la politique, on stipule qu’on est doté à peu près de 35 % de milieux naturels et qu’on était prêt à perdre quelques points de pourcentages pour le développement. Je dirai, au contraire, qu’il faut viser le 40-50 %, car c’est ce qui est recommandé par les scientifiques pour préserver la biodiversité. »

Pour l’avenir

Devant cette réalité, Mme Kelly croit qu’on doit apprendre de cette expérience et réfléchir à comment éviter de telles situations. « Déjà, il doit y avoir une consultation plus élargie. Ensuite, il faut comptabiliser et prendre en considération les apports écosystémiques de ces boisés-là. Mais idéalement, ce que je souhaiterais, c’est de voir un moratoire provincial sur la coupe de boisés. Nous sommes dans une situation de crise climatique où l’on ne peut pas se permettre de déboiser un peu à gauche et à droite de façon irraisonnée et sans plan. »

Pour Mme Kelly, il est primordial d’instaurer un tel moratoire afin de réfléchir aux changements climatiques et à la trajectoire que ce phénomène suit. Pour elle, ce n’est que plus tard, et avec le recul, qu’on pourra se permettre de faire des coupes sélectives. « En ce moment, nous sommes dans une situation aberrante de surconsommation et de surutilisation des ressources. On nous avertit sans cesse qu’il y a une crise climatique, mais on continue de couper des arbres. Je trouve ça irrespectueux et dangereux », a-t-elle déploré. « Encore une fois, même si c’est un petit boisé. Si le déboisement est fait par nos dirigeants de cette façon, ce sera pire avec les promoteurs. Il faut être conséquent, rigoureux, et s’assurer que nos actes suivent nos principes pour faire en sorte de contrôler cette destruction-là. Si on n’est pas capable d’instaurer des lois rapidement, il faut alors un moratoire en attendant. »

Une note d’optimisme

Malgré tout, Mme Kelly garde espoir dans les prochaines générations, qu’elle considère déjà mieux outillées et engagées. « Je suis toujours contente de voir des jeunes s’impliquer pour l’environnement, autant à Granby qu’au niveau national ou international. Je crois qu’ils sont bien sensibilisés, mais personnellement je pense qu’on pourrait faire plus dans les écoles, notamment dans les primaires, afin d’introduire les jeunes à l’éducation à l’environnement et à la biologie. (…) moi-même, qui a étudié beaucoup dans ma vie, je regrette de ne pas reconnaitre tout de suite les arbres que je croise ou les oiseaux que je vois. Je crois que si on apprend aux enfants à mieux reconnaître les insectes, les oiseaux et les plantes, ils auront plus envie de les protéger plus tard. »

Finalement, Mme Kelly reconnaît qu’il y a un problème systémique, notamment dans la gestion du boisé sur la rue Providence. « La Ville a fait de son possible, le CIUSSS a été collaborateur. Il n’y a pas eu de mauvaises intentions, mais ça donne un résultat qui est déplorable. Comment en est-on arrivé là ? », s’est-elle demandé. « Finalement, j’invite tous les citoyens à s’impliquer, et de ne pas avoir peur de parler et de se prononcer sur des sujets qui nous tiennent à cœur, car c’est comme ça qu’on avance comme société. »