GNR Shefford: la circularité au cœur de tous les processus

AGRICULTURE. C’était jour de fête le 28 février dernier à la ferme GNR Shefford. Et si les cœurs étaient légers, ce n’était pas seulement à cause de la nouvelle entente signée avec la compagnie Énergir pour la vente de gaz naturel renouvelable (GNR) qui sera généré sur place, mais plutôt à cause de la naissance de deux nouveaux bovins, ces créatures au centre du projet GNR Shefford, qui devrait représenter un investissement total avoisinant les 27 M$.

Le projet de biométhanisation de GNR Shefford, une ferme située dans le Canton de Shefford, a pour objectif de produire du gaz naturel renouvelable (GNR) à partir de divers déchets organiques, tels que le lisier solide bovin, le crottin de cheval, les copeaux de bois et même le marc de raisin. Le contrat signé avec Énergir prévoit que le GNR produit à la ferme sera acheté par Énergir qui le distribuera dans son réseau. «On est content, c’est un jalon important dans le cadre du programme d’aide gouvernemental. Est-ce que c’est parfait? Absolument pas. On souhaite qu’Énergir puisse trouver ses repères. Dans le moment, et malheureusement avec ce que j’entends ces derniers temps, il semble y avoir un certain décalage notamment dans la compréhension du public», a mentionné Paul Sauvé.

Le projet de GNR Shefford est basé sur une approche d’économie circulaire, visant à minimiser les déchets et à maximiser l’utilisation des sous-produits agricoles dans la production de GNR. Le fertilisant produit sera ensuite utilisé comme engrais de haute qualité. «L’objectif est d’avoir un produit solide à fin. Tout le monde parle du gaz, mais nous ce qui nous intéresse c’est la qualité du digestat», a fait savoir M. Sauvé.

«Et que ça soit clair, ce n’est pas de la biodigestion industrielle, c’est du digestat issu du processus agricole», a ajouté le fermier, en mentionnant que le fertilisant produit est par ailleurs beaucoup moins odorant que le produit utilisé dans l’épandage traditionnel.

Pour son projet, Paul Sauvé n’a rien laissé au hasard et a tenu à ce que la circularité fasse partie prenante de tous les processus, même dans la construction des bâtiments. La première grange a été construite presque entièrement à partir de matériaux issus des terrains du promoteur, et assemblée directement sur place. Au terme du projet, trois bâtiments interreliés seront érigés pour abriter les équipements avec une conception qui se veut discrète et s’intégrant au paysage local. «De plus bas, on voit à peine les installations. Tout a été conçu pour se marier dans l’environnement. C’était important pour moi de m’assurer d’avoir des objets le plus discrets possible, parce que la ferme typique a plein de silos, de tuyaux, etc.», a indiqué le Sheffordois.

Le digestat plus que le gaz

Paul Sauvé et son équipe le répètent souvent. Même si le gaz va «permettre de payer les factures», le plus important est le digestat produit ainsi que la qualité des terrains agricoles. Par ailleurs, la recette de ce fameux digestat inclut des ressources locales, telles que le crottin de cheval du centre équestre de Bromont, le lisier liquide de F. Ménard à Ange-Gardien et le marc de raisin du vignoble L’Orpailleur. Le projet implique aussi la collaboration avec d’autres fermes locales comme les entreprises Mojoguy et la Ferme Bouffard.

La circularité est également mise de l’avant dans l’alimentation des bêtes et l’entretien des champs. Pour les nourrir, l’agriculteur a fait pousser du trèfle un peu partout sur ses terres, et qui constitue la source d’alimentation numéro un de ses animaux. Cette «mauvaise herbe» participe également à fournir le nectar aux abeilles de M. Sauvé, qui a leur tour pollinisent les champs afin de le bonifier.

«Avec tout ça, on peut imaginer que l’animal est content et en santé, et que donc, la matière résiduelle qui sort de son estomac va dans un système de circularité propre et constant. C’est pour ça que ça n’a rien avoir avec un projet industriel, dont on ne sait pas d’où proviennent les éléments. Dans notre cas, nous avons une traçabilité de tout», a affirmé Paul Sauvé.

Même les copeaux présents dans la litière des vaches sont recyclés. Une fois que ces copeaux sont gorgés de matières résiduelles, ils sont récupérés puis filtrés, ensuite ils sont mis dans la fosse, avant de finir dans le biodigesteur. «Je connais des fermiers qui épandent des quantités massives de fumier de cochon liquide, et si on tasse le gazon, on se rend compte que la terre est très liquide, parce qu’elle est gorgée de purin de cochon non traité, c’est ça qui sent très fort. Nous autres, on n’est pas là du tout », précise l’agriculteur qui assure que son fumier sera solide.

Par ailleurs, la fosse à lisier, qui est rattachée à la grange avec une toiture, a été complètement rebâtie aux normes actuelles pour éviter tout problème d’étanchéité.

Pour l’amour de la terre

Malgré les doutes qui peuvent l’assaillir, Paul Sauvé demeure encore aujourd’hui convaincu par son projet, notamment après ce qu’il a vu à Valence, en France. «Des agriculteurs de Valence nous racontaient qu’ils avaient des champs drainés et que tous les sols étaient arides, mais aujourd’hui ils réussissent à faire de la culture maraîchère et font pousser ce qu’ils désirent. Ce digestat a régénéré le sol. Pour eux, le gaz c’est un bonus, l’avantage premier c’est vraiment le digestat», a répété le promoteur, propriétaire de la ferme depuis 2001.

Pour Paul Sauvé, préserver ses terres agricoles (exploitées depuis la fin des années 1790) est un véritable devoir moral au sein de sa ferme, dont la moyenne de détention de la part des propriétaires est de 94 ans. «La différence entre nous et les fondateurs, c’est qu’il n’y avait pas de voisinage. Mais aujourd’hui, il y en a. Ce qui fait que ça ressemble étrangement à une ferme française, où le voisinage fait partie de la ferme et où la ferme fait partie de la fibre du voisinage. Mais je ne suis pas sûr qu’on soit rendu là dans notre réflexion au Québec.»

Par ailleurs, au-delà des lourdeurs administratives, la périurbanisation constitue le principal enjeu quant à toute cette histoire. «Ce qui est un enjeu, c’est la périurbanisation. C’est-à-dire le voisinage, spécialement les gens qui sont arrivés de la ville depuis la pandémie, qui viennent s’installer dans un milieu agricole, ou adjacent, et qui ne veulent rien savoir de ce qui arrive dans le milieu agricole », a regretté M. Sauvé.

«Le GNR fait partie de la solution, surtout quand il est fait à petite échelle comme ça, qu’il ne démolit pas des trucs et qu’il ne génère pas des quantités démesurées de gaz à effet de serre. On prend notre temps, parce qu’on ne veut pas enfreindre aucune loi environnementale, mais on pose des gestes concrets comme la construction du premier bâtiment. Si on veut partir ça pour l’hiver prochain, il faut que les instances embrayent aussi », a-t-il conclu.