Jasmin Roy: «L’intimidation à l’école, c’est loin d’être réglé»
ENTREVUE. Le 15 février 2012, le projet de loi visant à prévenir et à combattre l’intimidation et la violence à l’école était présenté à l’Assemblée nationale. TC Media a demandé à Jasmin Roy, de la fondation qui porte son nom, ce qui avait changé, cinq ans plus tard.
Dernièrement, une jeune fille de l’Abitibi, Océane Lavoie, a utilisé Facebook pour répondre à son intimidateur. Est-ce que les jeunes sont maintenant mieux outillés pour affronter ces problèmes?
Oui, on le sent, même au niveau des parents –, qu’il y a une prise en charge. On dénonce plus. C’est pris plus au sérieux par tout le monde en général.
Quand j’ai commencé, il y a sept ans, à faire des conférences dans les écoles, je demandais aux jeunes de me donner une définition de l’intimidation. C’était presque impossible [d’avoir une réponse]. Aujourd’hui, ils sont capables. Et habituellement, ils sont capables d’identifier ce qu’il faut faire quand on est témoin d’intimidation, ils savent comment dénoncer.
Maintenant, c’est souvent les parents qui sont mal outillés. Il y a beaucoup d’éducation à faire au niveau des adultes.
Est-ce que les écoles, elles, sont suffisamment outillées aujourd’hui?
C’est à géométrie variable. Il y a des écoles qui sont exceptionnelles. Il y en a qui ont plus de difficultés à s’organiser. C’est pour ça qu’on en accompagne, et on ne veut pas les juger. Des fois, c’est parce qu’elles manquent de ressources; des fois, c’est une question de connaissances. C’est pour ça qu’on donne de la formation et de l’accompagnement.
L’école n’est pas un milieu isolé. Est-ce c’est difficile de traiter de l’intimidation à l’école en fonction de tout ce qui se passe à l’extérieur, sur les réseaux sociaux, par exemple? Comment gérer tout ça ensemble?
Je trouve qu’on a mis beaucoup de pression sur les écoles. Souvent, l’école va gérer les contrecoups. La loi leur a donné des obligations, je n’étais pas tout à fait d’accord avec ça. Parce qu’à un moment donné, s’il y a de l’intimidation qui vient d’une autre école, pendant la fin de semaine, ils sont obligés, selon la loi, d’intervenir. On leur en demande énormément.
Je pense que l’école a comme obligation d’outiller les élèves à bien utiliser les réseaux sociaux. Elle doit éduquer. Elle peut accompagner quelqu’un qui est victime de cyberintimidation, mais je ne crois pas qu’elle doive gérer l’univers du web. Si ça se passe la fin de semaine, ça appartient aux parents, aux autorités. Les écoles en ont trop déjà.
Est-ce que les constats que vous faites, pendant les tournées de la fondation dans la province, ont changé au fil des années?
Je trouve que oui. Le problème, maintenant, c’est que j’ai peur que ça s’essouffle. Même dans les médias, il y a des gens qui disent que c’est comme si le problème était réglé. C’est loin d’être réglé.
La chaire de recherche à l’Université Laval sur la sécurité et la violence à l’école a dit qu’il y avait une petite baisse [selon des résultats publiés en 2016]. Ils ont fait une étude où ils ont comparé 2013 à 2015. En 2013, 38% des élèves disaient se faire insulter au primaire. En 2015, on était à 35%. 23% des élèves disaient s’être fait frapper en 2013, et en 2015, c’était 20%. Il y a une amélioration, il faut le dire, mais ce n’est pas majeur.
Quelle serait la prochaine étape à accomplir dans la lutte contre l’intimidation des jeunes?
L’année prochaine, on veut travailler sur les saines habitudes relationnelles et émotionnelles. Il faut apprendre à la petite enfance, aux enfants très jeunes, l’alphabet des émotions. Comment j’exprime la façon dont je me sens et les besoins en lien avec ce que je ressens. Parce que les enfants qui ne sont pas capables d’exprimer leurs émotions vivent des frustrations et sont plus portés à la violence. Ça doit faire partie maintenant du curriculum dès la petite enfance. Après, on travaille sur les apprentissages socio-émotionnels, la conscience de soi, de l’autre, la conscience sociale, sur la gestion de ses émotions.
Plus d’infos:
La Fondation Jasmin Roy a été fondée en décembre 2010. Elle vise à lutter contre la discrimination, l’intimidation et la violence faite aux jeunes à l’école. Pour ce faire, elle offre du soutien et des formations au milieu scolaire.