Kanesatake: un groupe réclame une enquête avec un rapporteur de l’ONU

MONTRÉAL — Un groupe qui affirme parler au nom de citoyens de Kanesatake réclame une commission d’enquête indépendante avec la participation des Nations unies sur la crise dans la communauté mohawk située sur la Rive-Nord de Montréal.

Le député néo-démocrate Alexandre Boulerice participait à une manifestation qui a réuni environ 25 personnes devant le bureau du ministre des Relations Couronne-Autochtones, Marc Miller, mardi à Montréal.

Le député a brandi un contenant d’eau grise et opaque devant les journalistes, en réclamant une commission parlementaire concernant les présumés rejets toxiques dans un cours d’eau adjacent au site de G&R Recyclage à Kanesatake.

«Si ça, c’est de l’eau qu’on retrouve sur le terrain à Kanesatake à cause d’un dépotoir illégal qui est contaminé, personne ne veut vivre dans un environnement comme ça», a indiqué le député.

Un homme qui se fait appeler «Blue», et qui réclame l’anonymat, car il craint les représailles, a fourni au député le contenant d’eau qui proviendrait du territoire autochtone.

Ping-pong devant le bureau du ministre Miller

Les manifestants avaient le visage caché par des masques médicaux, des bandeaux, ou alors par des masques qui représentaient les visages des ministres Steven Guilbeault, Marc Miller et de leur homologue québécois Ian Lafrenière.

Ces manifestants se sont adonnés à des parties de ping-pong, sur une table installée sur le trottoir de la rue Saint-Jacques, afin de dénoncer le jeu de «ping-pong» entre le gouvernement fédéral et la province concernant la situation à Kanesatake.

Blue, le porte-parole du groupe, a expliqué que la communauté de Kanesatake craint les répercussions environnementales de l’écoulement d’eaux qui seraient toxiques et qui proviendraient du centre de tri G&R Recyclage qui appartient aux frères Robert et Gary Gabriel.

«La Presse a rapporté que le conseil de bande a admis en privé qu’il se sentait impuissant à appliquer les règlements par crainte d’intimidation violente» et «il n’y a pas eu d’autre choix que de rester anonyme dans ce fiasco qui est le fruit de l’apathie de tous les niveaux de gouvernement et de l’abandon du droit des Mohawks», a indiqué le porte-parole masqué.

Questionné à savoir s’il parlait au nom des membres de la communauté de Kanesatake, Blue a répondu par l’affirmatif.

«Ici, en ce qui concerne cette situation et ces questions, oui», a indiqué le porte-parole du groupe.

Il a précisé que certaines citoyennes de Kanesatake «sont présentes aujourd’hui, elles représentent un groupe dans la communauté» et qu’elles sont «extrêmement nerveuses concernant leur sécurité».

Une enquête avec un rapporteur de l’ONU

Les manifestants réclament une commission d’enquête indépendante avec la participation d’un rapporteur sur les peuples autochtones de l’ONU pour déterminer «comment la crise s’est développée» et la responsabilité des différents gouvernements.

Ils demandent également la décontamination du site G&R Recyclage et d’autres sites semblables et une solution pour assurer la sécurité des résidants «en consultation directe et sécuritaire des membres».

Les manifestants ont annoncé mardi qu’ils lançaient «la campagne sortons les vidanges» et promis «des actions directes pendant un mois».

Des dégâts environnementaux très préoccupants

G&R Recyclage a vu son permis d’exploitation révoqué par le ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques du Québec en 2020. Deux ans plus tôt, une enquête du ministère avait permis de constater plusieurs manquements et la province avait demandé à G&R Recyclage de «cesser tout dépôt de matières résiduelles dans un lieu non autorisé», de «disposer, dans un lieu autorisé à les recevoir, toutes les matières résiduelles entreposées de façon non conforme» et de «remettre le lot visé dans l’état où il était avant que ne débutent les travaux effectués en contravention avec la Loi sur la qualité de l’environnement».

Mais une enquête de La Presse la semaine dernière montrait que des eaux toxiques s’écouleraient du centre de tri G&R.

Des fonctionnaires fédéraux se sont rendus six fois sur le site G&R Recyclage dans la communauté de Kanesatake dans les derniers mois. Jusqu’à présent, ces inspecteurs n’ont pas constaté de preuve que l’entreprise avait enfreint la Loi sur les pêches, qui interdit le rejet de substance nocive dans les cours d’eau.

Toutefois, la situation inquiète le gouvernement fédéral.

Le ministre de l’Environnement, Steven Guilbeault, et la ministre fédérale des Services aux Autochtones, Patty Hajdu, ont  indiqué, dans un communiqué, que «les dégâts environnementaux à Kanesatake et les impacts sur la sécurité de la communauté sont très préoccupants».

Dans une déclaration écrite, l’attaché de presse de la ministre Hajdu a réitéré mardi que son bureau «travaille activement avec l’ensemble du gouvernement fédéral, y compris avec Environnement et Changement climatique Canada, la province de Québec et les partenaires autochtones pour trouver une solution permanente à long terme».

La ministre a également fait savoir qu’elle s’est entretenue avec le ministre québécois responsable des Relations avec les Premières Nations et les Inuit, Ian Lafrenière, jeudi dernier, et a convenu d’organiser une réunion trilatérale avec le grand chef Victor Bonspille «pour discuter de la situation et trouver une solution durable pour répondre aux besoins de la communauté».

Un corps policier démantelé

Le député Alexandre Boulerice a dénoncé ce qu’il qualifie de «zone de non-droit» à Kanesatake et Blue, le porte-parole de la manifestation, a déclaré que «la communauté est à genou devant l’intimidation» des propriétaires du site où est situé le dépotoir.

Dans un communiqué,  la ministre Hadju a indiqué que «la violence et les menaces visant les membres de la communauté de Kanesatake sont inacceptables» et qu’afin d’assurer la protection de la communauté, son ministère «a fourni 3,2 millions $ sur quatre ans dans le cadre de l’initiative des sentiers de la sécurité communautaire, pour répondre au besoin identifié par la communauté d’avoir une équipe de sécurité spécialisée qui pourrait collaborer avec la Sûreté du Québec».

Le corps policier autochtone de Kanesatake a été démantelé en 2005 à la suite de conflits internes qui avaient dégénéré en violence, alors que la résidence du chef de l’époque, James Gabriel, avait été incendiée et le poste de police placé en état de siège par des manifestants opposés au remplacement, par James Gabriel, du chef de police de l’époque. 

Depuis 2005, ce sont les policiers de la Sûreté du Québec qui sont chargés de patrouiller le territoire autochtone, mais leur présence est mal accueillie par les Mohawks depuis la crise d’Oka en 1990 et ils ne s’aventurent que très rarement à l’intérieur des limites du territoire.