La réforme des libérations aurait pu sauver la vie d’un policier, dit Thomas Carrique

OTTAWA — Le chef de la Police provinciale de l’Ontario croit qu’un de ses jeunes agents serait encore en vie si la loi libérale sur la réforme de la libération sous caution avait été adoptée, a-t-il déclaré jeudi devant un comité sénatorial.

Mais des associations représentant des avocats noirs et autochtones ont averti les sénateurs qu’il y avait un manque de preuves pour étayer la manière dont les réformes proposées rendraient les quartiers plus sûrs.

Et elles affirment qu’une montagne de recherches montre que beaucoup trop de personnes noires, autochtones et autrement marginalisées sont déjà derrière les barreaux – un problème qui, selon elles, pourrait s’aggraver avec la législation.

Le commissaire de la Police provinciale de l’Ontario, Thomas Carrique, a comparu devant un comité sénatorial étudiant le projet de loi C-48, le projet de réforme de la libération sous caution proposé par les libéraux.

Il a déclaré aux sénateurs qu’il croyait que le meurtre du policier Greg Pierzchala aurait pu être empêché si son meurtrier présumé avait été en détention.

«Je crois de tout cœur que ce projet de loi, s’il avait été appliqué comme prévu, aurait empêché (sa) mort», a-t-il affirmé.

La mort par balle du policier de 28 ans en décembre dernier a renouvelé les appels des dirigeants de la police comme M. Carrique aux législateurs pour qu’ils durcissent l’accès à la libération sous caution pour les récidivistes violents.

Les conservateurs fédéraux ont également pressé le premier ministre Justin Trudeau d’agir et, en quelques semaines, les premiers ministres de toutes les provinces et des territoires ont exigé des réformes.

Des documents judiciaires montrent que Randall McKenzie, l’une des deux personnes accusées de meurtre au premier degré relativement à la mort de M. Pierzchala, s’était initialement vu refuser la libération sous caution pour des accusations distinctes d’agression et d’utilisation d’armes, mais a ensuite été libéré après un examen. Un mandat d’arrêt avait été lancé contre lui après qu’il ne s’est pas présenté à sa comparution devant le tribunal.

Le projet de loi libéral propose d’étendre les dispositions d’inversion du fardeau de la preuve aux infractions impliquant une arme, y compris certains types d’armes à feu, ainsi qu’à celles liées aux condamnations ou même aux libérations pour violence conjugale.

L’inversion du fardeau de la preuve évite aux procureurs de la Couronne d’avoir à prouver à un juge provincial pourquoi un accusé devrait être maintenu en détention en attendant son procès. Les accusés devraient plutôt démontrer pourquoi ils devraient être libérés dans la communauté.

Un représentant de l’Association canadienne des chefs de police a salué le projet de loi libéral comme étant indispensable lors de l’audience de jeudi.

Doutes sur les objectifs de sécurité publique

Mais ses mesures ont suscité l’inquiétude d’organisations de défense des libertés civiles, d’avocats criminalistes et de groupes tels que l’Association du Barreau autochtone et l’Association canadienne des avocats noirs.

Christa Big Canoe, membre de l’Association du Barreau autochtone, affirme que les femmes autochtones victimes de violence conjugale sont souvent accusées par la police lorsqu’un agent intervient lors d’un incident. Selon elle, le fait de transférer à ces femmes la responsabilité de prouver pourquoi elles devraient être libérées avant leur procès comporte un risque de préjudice.

«Il n’existe aucune preuve empirique que ce projet de loi permettra d’atteindre les objectifs de sécurité publique qu’il vise», a déclaré Theresa Donkor, de l’Association canadienne des avocats noirs.

«Je comprends tout à fait que lorsqu’une vie est perdue, c’est une circonstance tragique et c’est certainement quelque chose que nous voulons éviter. Mais les cas que nous voyons dans l’actualité sont certainement des cas isolés. Ce n’est pas que chaque personne libérée sous caution sort et commet un autre crime.»

Elle et Mme Big Canoe ont déclaré aux sénateurs que les personnes accusées noires et autochtones sont déjà extrêmement surreprésentées dans les prisons canadiennes.

Mme Donkor a prévenu que le gouvernement libéral risquait de saper ses propres efforts pour lutter contre la discrimination raciale qui conduit à de telles statistiques.

Le ministre de la Justice, Arif Virani, a défendu la législation en soulignant que ses mesures ciblent spécifiquement les récidivistes violents.

Lors de son témoignage devant le comité sénatorial plus tôt cette semaine, M. Virani a souligné le soutien au projet de loi de la part des provinces et des dirigeants de la police et a encouragé le Sénat à l’adopter rapidement.

Il a également demandé aux sénateurs de prendre note de la manière dont la Chambre des communes a adopté le projet de loi avec consentement unanime, lui permettant ainsi d’être renvoyé au Sénat sans autre débat ni étude par un comité de députés.

Impact sur les services d’aide juridique

Jeudi, le comité sénatorial a discuté de l’impact potentiel du projet de loi sur les services d’aide juridique, puisque ceux qui vivent dans la pauvreté et manquent de ressources adéquates auront plus de mal à accéder à la libération sous caution s’il leur incombe de prouver la nécessité de leur propre libération.

Boris Bytensky, représentant de l’Association des avocats criminalistes, a averti que ces mesures pourraient également avoir des conséquences sur les ressources des tribunaux.

Si davantage de personnes sont en détention provisoire, cela pourrait ajouter de la pression sur un système déjà débordé, a-t-il fait valoir, et conduire au retrait ou à la suspension de certaines accusations si les tribunaux ne peuvent pas traiter les dossiers à temps.

Le projet de loi pourrait avoir sur la sécurité publique l’effet inverse de celui souhaité par le gouvernement, a suggéré M. Bytensky.

«Tout le monde attendra plus longtemps dans les centres de détention pour avoir son enquête sur la libération sous caution. Et la personne qui pourrait s’y trouver pour une infraction relativement mineure qui a été alléguée sera alors assise face à face pendant plusieurs jours avec des personnes qui (…) ont des antécédents criminels beaucoup plus lourds, a-t-il déclaré. Les gens entrent et ressortent beaucoup plus dangereux qu’à leur entrée.»

Il a ajouté que si quelqu’un perd son emploi ou une place dans un programme de traitement parce qu’il est en détention provisoire, «cela va également vous rendre directement plus dangereux en raison de tous les différents stress auxquels vous allez être confronté dans votre vie».