La sécurité du pays doit être en jeu pour une disposition de la Loi sur l’immigration

OTTAWA — Une disposition de la loi fédérale sur l’immigration peut être utilisée pour interdire de territoire, pour des raisons de sécurité, des personnes qui se sont livrées à des actes de violence uniquement lorsqu’il existe un lien clair avec la sécurité nationale, a statué la Cour suprême du Canada.

Cette décision du plus haut tribunal du pays a été rendue mercredi dans un jugement qui portait sur deux dossiers qui ont commencé par des décisions administratives en vertu d’un article de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés.

L’article en question stipule que les résidents permanents ou les ressortissants étrangers sont interdits de territoire pour des raisons de sécurité s’ils sont «l’auteur de tout acte de violence susceptible de mettre en danger la vie ou la sécurité d’autrui au Canada».

Le premier cas concernait Earl Mason, un citoyen de Sainte-Lucie qui est arrivé au Canada en 2010 et qui a demandé la résidence permanente avec le parrainage de son épouse.

En mai 2014, M. Mason a été inculpé de deux chefs de tentative de meurtre et de deux chefs d’accusation lui reprochant d’avoir déchargé une arme à feu à la suite d’une dispute dans un bar de Surrey, en Colombie-Britannique, survenue en 2012.

L’année suivante, un arrêt des procédures a été ordonné pour cause de délai, de sorte que M. Mason n’a été reconnu coupable d’aucune infraction criminelle.

Cependant, en 2016, un agent de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) a rédigé un rapport alléguant que M. Mason était interdit de territoire en raison de l’article en question de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés.

Dans le deuxième cas, Seifeslam Dleiow, un citoyen libyen, est arrivé au Canada en 2012 avec un permis d’études et a ensuite demandé le statut de réfugié, sans succès.

Dans un rapport, l’ASFC a allégué que M. Dleiow était aussi interdit de territoire, parce qu’il s’est livré à des actes de violence contre des partenaires intimes et d’autres personnes.

Certaines accusations ont été suspendues, tandis que l’homme a obtenu une absolution conditionnelle après avoir plaidé coupable de présence illégale dans une maison d’habitation dans l’intention de commettre un acte criminel, de méfait de moins de 5000 $ et de menaces de causer la mort ou des lésions corporelles.

Dans le cas de M. Mason, la Section d’appel de l’immigration a convenu avec le ministre de l’Immigration que ledit article de la Loi sur l’immigration s’applique même lorsqu’il n’y a aucun lien avec la sécurité nationale. Dans le cas de M. Dleiow, la Section de l’immigration a suivi l’interprétation de la décision rendue dans le dossier de M. Mason.

À la suite de ces décisions administratives, les deux hommes ont été jugés interdits de territoire au Canada.

«Une seule interprétation raisonnable»

Les deux dossiers se sont ensuite retrouvés devant la Cour fédérale, qui a annulé les décisions administratives. La Cour d’appel fédérale a toutefois infirmé ce nouveau jugement, estimant que l’interprétation de la Section d’appel de l’immigration de la disposition était raisonnable.

Les deux hommes ont ensuite porté leur cause devant la Cour suprême.

Dans sa décision rendue mercredi, le plus haut tribunal du pays a rejeté l’interprétation de la disposition faite par la Section d’appel de l’immigration et a annulé les décisions administratives.

S’exprimant au nom de la majorité, le juge Mahmud Jamal a affirmé que les contraintes juridiques pertinentes «mènent inéluctablement à une seule interprétation raisonnable» de l’article en question, à savoir qu’une personne ne peut être déclarée interdite de territoire au Canada que si elle se livre à des actes de violence ayant un lien avec la sécurité nationale.

Le juge Jamal a souligné que la Section d’appel de l’immigration n’a pas pris en compte «trois importantes contraintes juridiques» mises de l’avant par M. Mason avant de prendre sa décision, dont les «conséquences potentiellement importantes de son interprétation» — à savoir sa déportation du Canada.

La juge Suzanne Côté aurait utilisé une norme de contrôle juridique différente pour étudier ce dossier, mais elle a convenu qu’il doit y avoir un lien entre les actes de violence et la sécurité nationale pour appliquer la disposition litigieuse.

Elle a soutenu que l’interprétation de la Section d’appel de l’immigration aurait considérablement élargi les motifs d’expulsion des ressortissants étrangers ou des résidents permanents.

«Des étrangers pourraient être renvoyés dans des pays où ils risquent la persécution, ce qui irait à l’encontre des obligations du Canada aux termes de la Convention relative au Statut des Réfugiés.»