L’envoyé indien vante ses bonnes relations avec le Canada malgré l’affaire Nijjar

OTTAWA — L’envoyé de l’Inde au Canada insiste sur le fait que les relations entre les deux pays sont globalement positives, malgré ce qu’il décrit comme «beaucoup de bruit».

À ses premières remarques publiques depuis que la Gendarmerie royale du Canada (GRC) a arrêté trois ressortissants indiens dans l’affaire Hardeep Singh Nijjar, le haut-commissaire Sanjay Kumar Verma a semblé lier l’affaire à un crime domestique.

Mais il a averti que les groupes sikhs au Canada qui appellent à la séparation de leur patrie de l’Inde franchissent «une grande ligne rouge» que New Delhi considère comme une question de sécurité nationale.

«Ce sont les Indiens qui décideront du sort de l’Inde, pas les étrangers», a martelé M. Verma au Conseil des relations étrangères de Montréal.

Plus tôt mardi, la ministre des Affaires étrangères du Canada, Mélanie Joly, a maintenu les allégations selon lesquelles le gouvernement indien aurait été complice du meurtre d’un Canadien sikh l’année dernière.

Hardeep Singh Nijjar plaidait depuis longtemps pour la création d’un pays sikh appelé Khalistan.

Il a été abattu en juin dernier devant un temple sikh à Surrey, en Colombie-Britannique.

Il faisait l’objet d’un mandat d’arrêt en Inde, mais le Canada ne l’a jamais extradé en raison du manque de preuves crédibles qu’il avait commis un crime grave.

Le meurtre a déclenché une vague de protestations, certains groupes sikhs faisant circuler des affiches menaçant nommément les diplomates indiens au Canada.

Ottawa a suspendu les négociations commerciales avec l’Inde en août dernier, un mois avant que Justin Trudeau n’associe publiquement New Delhi à cette affaire.

Les tensions diplomatiques se sont poursuivies jusqu’à l’automne lorsque l’Inde a forcé le Canada à expulser les deux tiers de ses diplomates du pays, menaçant de les priver de l’immunité diplomatique, et a temporairement interrompu le traitement des visas pour les visiteurs canadiens.

Les trois hommes inculpés dans cette affaire ont comparu virtuellement devant le tribunal mardi. La police a déclaré qu’elle enquêtait toujours pour savoir si le gouvernement indien était impliqué dans le meurtre.

M. Verma a déclaré que les problèmes plus profonds qui sous-tendent les récents développements «négatifs» sont liés à la mauvaise compréhension du Canada de «problèmes vieux de plusieurs décennies». Il a accusé les Canadiens d’origine indienne de ramener le sujet dans l’actualité. 

Il a affirmé que sa principale préoccupation concernait «les menaces à la sécurité nationale émanant du territoire du Canada», soulignant que l’Inde ne reconnaît pas la double nationalité et que toute personne qui émigre est considérée comme un étranger.

New Delhi juge inconstitutionnel d’appeler à la séparation de l’Inde, mais le Canada affirme depuis longtemps que les sikhs du Canada ont droit à la liberté d’expression s’ils n’incitent pas à la violence.

«Les étrangers qui ont un mauvais œil sur l’intégrité territoriale de l’Inde, c’est une longue ligne rouge pour nous», a-t-il lancé.

Il n’a pas précisé s’il faisait référence aux étrangers impliqués dans l’affaire Nijjar ou à la question du séparatisme sikh de manière plus générale.

Au cours du week-end, le ministre indien des Affaires étrangères, Subrahmanyam Jaishankar, a réagi aux arrestations de la GRC en accusant le Canada d’accueillir des criminels de son pays.

M. Verma a adopté un ton conciliant mardi, affirmant que les deux pays «essayaient de résoudre ce problème».

«Nous sommes prêts à nous asseoir à la table n’importe quand», a-t-il assuré.

Quelques heures avant ces remarques, Mme Joly a répété que son objectif était toujours de discuter avec les dirigeants indiens en privé.

Elle a fait savoir qu’elle laisserait la GRC enquêter au lieu de fournir de nouveaux commentaires sur l’affaire.

«Nous maintenons les allégations selon lesquelles un Canadien aurait été tué en sol canadien par des agents indiens. L’enquête de la GRC est en cours. Je ne ferai pas d’autres commentaires et aucun autre représentant de notre gouvernement ne fera d’autres commentaires.»

«Nous devons stabiliser et améliorer cette relation»

M. Verma a concentré son discours de mardi sur «les côtés positifs» de la relation avec le Canada.

Il a souligné que la valeur annuelle du commerce bilatéral s’élève à 26 milliards $ et qu’au cours des 11 derniers mois, il y a eu une augmentation de 75 % des exportations canadiennes de lentilles et une augmentation de 21 % des médicaments envoyés au Canada.

Vina Nadjibulla, vice-présidente à la recherche à la Fondation Asie-Pacifique du Canada, croit que l’Inde revêt une importance croissante pour Ottawa et bon nombre de ses pairs.

«Le Canada est actuellement à l’écart en ce qui concerne ce genre d’approfondissement stratégique du partenariat avec l’Inde. Nous devons stabiliser et améliorer cette relation, car c’est dans l’intérêt national du Canada.»

Elle a souligné que les entreprises canadiennes et les provinces cherchaient à resserrer leurs liens. La première ministre de l’Alberta, Danielle Smith, a d’ailleurs accueilli M. Verma en mars.

De son côté, la Saskatchewan a annoncé la semaine dernière qu’elle avait convaincu New Delhi de réintégrer l’envoyé de la province en Inde, qui faisait partie des Canadiens qui avaient dû partir à l’automne.

New Delhi n’a pas permis aux autres diplomates canadiens de revenir.

Le premier ministre de la Saskatchewan, Scott Moe, a rencontré M. Jaishankar en février dernier et a pris la parole lors du Raisina Dialogue, une importante conférence sur la politique étrangère en Inde.

Mme Nadjibulla a assisté à cette conférence. Elle a observé que l’Inde faisait preuve d’une «immense confiance» quant à sa puissance économique, sa population et son influence régionale croissantes.

Malgré l’affaire Nijjar, elle a déclaré que le Canada devrait envisager de rouvrir les négociations commerciales avec l’Inde puisque «nous pouvons faire beaucoup de choses ensemble».

Tout le monde n’est pas d’accord avec ces propos. Mardi, le groupe Sikhs pour la justice a demandé l’annulation du discours de M. Verma, citant l’affaire Nijjar et les allégations d’ingérence étrangère de l’Inde.

L’avocat du groupe, Gurpatwant Singh Pannun, basé à New York, a été désigné par les procureurs américains comme la cible d’un assassinat dans le cadre d’un complot manqué qui, selon eux, aurait été orchestré par un responsable du gouvernement indien. Cette affirmation n’a toutefois pas été débattue devant les tribunaux. 

Note aux lecteurs: GRC était écrit Gendarmerie royale Canadienne. A été corrigé pour Gendarmerie royale du Canada