Les plans de Canadiens d’origine indienne perturbés par l’annonce sur les visas

OTTAWA — Jusqu’à cette semaine, Sukhwinder Dhillon était déterminé à effectuer son premier voyage de retour en Inde depuis des années au cours des prochains mois.

«Mon père est décédé et mon frère est décédé, a déclaré le Montréalais de 56 ans. Je veux partir maintenant.»

M. Dhillon avait prévu de retourner dans son lieu de naissance, dans l’État indien du Pendjab, pour voir sa famille et régler ses affaires avec la succession de son père, mais il s’est vu contraint de suspendre le voyage.

Les membres de la communauté indo-canadienne sont sous le choc après que le gouvernement indien a suspendu les services de visa pour les citoyens canadiens, bouleversant les projets de voyage de ceux qui voulaient visiter le pays, mais qui sont maintenant pris entre deux feux d’une explosion diplomatique.

Le centre de traitement des visas de l’Inde au Canada a suspendu ses services jeudi, alors que le fossé s’est creusé entre les deux pays après que le premier ministre Justin Trudeau a déclaré que l’Inde pourrait avoir été impliquée dans l’assassinat d’un citoyen canadien.

M. Trudeau a révélé lundi en Chambre qu’il existait des «allégations crédibles» de l’implication de l’Inde dans l’assassinat du militant indépendantiste sikh Hardeep Singh Nijjar, recherché par l’Inde depuis des années et abattu en juin devant le temple qu’il dirigeait en Colombie-Britannique.

Le Canada a également expulsé un diplomate indien, et l’Inde a fait de même mardi avec un diplomate canadien. New Delhi a qualifié d’absurdes les allégations et a estimé qu’il s’agissait d’une tentative de détourner l’attention de la présence de M. Nijjar et d’autres suspects recherchés au Canada.

M. Dhillon a déclaré que son malaise à l’égard du pays dans lequel il a grandi s’est accru en raison de la teneur du discours du parti nationaliste hindou au pouvoir du premier ministre Narendra Modi.

«Ils disent : « Faites attention, peuple hindou, vous n’êtes pas en sécurité au Canada », a relaté le propriétaire d’une épicerie, paraphrasant la chaîne d’information Aaj Tak diffusée en hindi en arrière-plan. Mais ce n’est pas comme ça ici.»

M. Dhillon, arrivé au Canada en 1998, a déclaré qu’il faisait généralement un aller et retour tous les deux ou trois ans et espère que l’arrêt des visas sera de courte durée.

En 2021, 80 000 touristes canadiens ont visité l’Inde, ce qui en fait le quatrième groupe en importance, selon le Bureau indien de l’immigration.

Selon le recensement de 2021, quelque 1,4 million de résidants d’origine indienne habitaient au Canada, dont environ 772 000 sikhs – le nombre le plus élevé de tous les pays après l’Inde.

Pour Mohinder Singh, qui a traversé l’océan Pacifique il y a dix ans, les représailles de la part du gouvernement indien seraient le prix à payer pour dénoncer des actes répréhensibles allégués. Cela est vrai aussi des perturbations considérables pour les voyageurs.

«Pour une personne qui a de la famille, il est important de voyager, mais aussi pour des associations professionnelles», a déclaré le courtier d’assurance de 48 ans, ajoutant qu’il avait des proches en Inde et un lien émotionnel fort avec sa patrie.

«Je pensais appliquer et partir en vacances, mais si je dois reporter (mes plans), je m’en fiche, a-t-il déclaré. Il faut parfois se sacrifier pour un plus grand bien.»

Ottawa évalue ses effectifs en Inde

Le porte-parole du ministère indien des Affaires étrangères, Arindam Bagchi, a confirmé la suspension temporaire de tous les services de visa pour les Canadiens, y compris les visas électroniques et les visas délivrés dans des pays tiers.

«Les menaces de sécurité auxquelles sont confrontés notre haut-commissariat et nos consulats au Canada ont perturbé leur fonctionnement normal. En conséquence, ils sont temporairement incapables de traiter les demandes de visa. Nous examinerons la situation régulièrement», a déclaré M. Bagchi aux journalistes.

Il a appelé à une réduction du nombre de diplomates canadiens en Inde, affirmant qu’ils étaient plus nombreux que le personnel indien au Canada.

«Nous avons informé le gouvernement canadien qu’il devrait y avoir une parité de force et une équivalence de rang dans notre présence diplomatique mutuelle», a déclaré M. Bagchi.

Le haut-commissariat du Canada à New Delhi a affirmé jeudi que tous ses consulats en Inde étaient ouverts et continuaient d’offrir les services. Il a déclaré que certains de ses diplomates avaient reçu des menaces sur les réseaux sociaux, ce qui l’avait incité à évaluer son «effectif en Inde».

Il a ajouté que le Canada s’attend à ce que l’Inde assure la sécurité de ses diplomates et agents consulaires qui y travaillent.

Les gens d’affaires s’inquiètent également des conséquences du conflit diplomatique.

Shaker Ahmed Choudhury, qui gère une agence de voyages à Montréal, affirme que près du tiers de sa clientèle est indo-canadienne.

«Nous avons beaucoup de clients indiens, notamment ceux qui voyagent à Amritsar, au Pendjab. C’est définitivement un revers pour nous, car il s’agit d’une grande population et d’un grand marché», a-t-il déclaré à propos de la suspension du traitement des visas.

D’autres entreprises font également face à des perturbations. Même si les vols vers l’Inde ne représentent qu’une fraction du marché touristique du Canada — moins de 40 des plus de 4000 vols hebdomadaires d’Air Canada sont effectués entre ce pays et le sous-continent — le nombre croissant d’immigrants et d’étudiants internationaux en fait toujours un endroit important sur la carte de certaines entreprises, des exportateurs agricoles aux compagnies aériennes.

«Nous prévoyons que l’immigration accrue continuera de renforcer le marché dynamique des amis et des parents en visite en contribuant au commerce et en favorisant les opportunités de voyages d’affaires», a déclaré le PDG d’Air Canada, Michael Rousseau, aux analystes lors d’une conférence téléphonique le mois dernier.

L’Inde est désormais la principale source d’immigration au Canada, avec 118 000 personnes, soit 27% des 437 000 nouveaux résidents permanents en 2022, provenant de ce pays, selon le ministère de l’Immigration.