Les provinces critiquent en bloc l’iniquité d’Ottawa sur la tarification du carbone

HALIFAX — Les premiers ministres des provinces ont présenté un rare front uni, lundi, en affirmant à tour de rôle que les récents changements apportés par Ottawa à ses mesures de tarification du carbone «différenciées» au pays étaient inéquitables.

Les premiers ministres des provinces ont publié une déclaration commune après leur rencontre à Halifax, lundi. Ils demandent au premier ministre Justin Trudeau de veiller à ce que les politiques fédérales, comme la tarification du carbone, soient mises en œuvre de manière équitable au Canada, «tout particulièrement dans le contexte d’une augmentation du coût de la vie, laquelle affecte les citoyens de partout au pays».

Le premier ministre du Québec, François Legault, n’était pas présent à la réunion d’Halifax, lundi, en raison d’un «conflit d’horaire». Mais il était représenté par le ministre responsable des Relations canadiennes, Jean-François Roberge.

Le premier ministre Trudeau a annoncé il y a dix jours la suspension, pendant trois ans, de la tarification du carbone sur le mazout résidentiel dans les 10 provinces et territoires où s’applique cette mesure fédérale sur les combustibles. Le premier ministre fédéral expliquait alors que cette suspension visait à permettre aux utilisateurs de mazout, un combustible particulièrement coûteux ces temps-ci, de se convertir plus facilement à la thermopompe électrique pour chauffer leur maison.

Lorsque M. Trudeau a fait cette annonce, il a déclaré que la mesure serait bien accueillie dans les provinces de l’Atlantique, où le taux d’utilisation du mazout est très élevé. Le premier ministre était alors entouré de députés de l’Atlantique.

Mais cette décision a immédiatement suscité des critiques de la part des premiers ministres de l’Ouest canadien, où la plupart des résidents et des entreprises utilisent du gaz naturel pour se chauffer. Le premier ministre de l’Ontario, Doug Ford, a même réclamé la fin pure et simple de la tarification du carbone partout au Canada.

Les premiers ministres présents à Halifax lundi pour la réunion du Conseil de la fédération se sont ralliés à l’idée que la décision d’Ottawa ne traitait pas les Canadiens de manière uniforme, alors que la hausse du coût de la vie, elle, frappait partout.

Le nouveau premier ministre du Manitoba, le néo-démocrate Wab Kinew, soutient que la tarification du carbone n’est «pas une solution miracle en matière de changement climatique». Il a souligné lundi que la suspension accordée aux utilisateurs de mazout devrait être étendue à d’autres combustibles, afin d’aider un plus grand nombre de Canadiens à faire face à la hausse du coût de la vie.

Normal, plaide LeBlanc

Interrogé en mêlée de presse à Ottawa, lundi après-midi, le ministre des Affaires intergouvernementales, Dominic LeBlanc, a plaidé que le fédéral mettait sur pied «des politiques nécessairement adaptées à des réalités régionales», mais il n’a pas évoqué une éventuelle modification du programme de tarification du carbone.

«Ce n’est pas la première fois qu’un gouvernement, dans une fédération avec dix provinces et trois territoires, a des politiques qui s’appliquent différemment dans différentes régions du Canada, a-t-il dit. Nous croyons que c’est des politiques qui sont responsables, efficaces et équitables.

«Et nous avons bien hâte de collaborer avec les premiers ministres, par exemple pour élargir l’accès pour les Canadiens aux thermopompes électriques (…) Mais écoutez: que vous ayez 13 premiers ministres des provinces et des territoires qui se mettent ensemble et qui décident de critiquer le gouvernement fédéral, ça ne devrait pas faire des nouvelles», a ajouté le ministre LeBlanc.

Le premier ministre de la Saskatchewan, Scott Moe, a déclaré à Halifax que le programme de tarification du carbone était injuste pour les 85 % de résidents de la Saskatchewan qui utilisent le gaz naturel pour se chauffer. «Le problème, ce n’est pas la mesure: c’est la manière dont elle est appliquée.»

M. Moe a réitéré sa récente promesse d’ordonner à la société d’État SaskEnergy, fournisseur de gaz naturel en Saskatchewan, de cesser de percevoir la «taxe fédérale sur le carbone» à compter de l’année prochaine.

Unité nationale et changement climatique

La première ministre conservatrice de l’Alberta, Danielle Smith, a déclaré que le gaz naturel devrait être traité comme un combustible plus propre, surtout par rapport au charbon, au bois et au fumier.

Le premier ministre libéral de Terre-Neuve-et-Labrador, Andrew Furey, a attiré l’attention sur la forte dépendance de sa province au mazout, mais il a ensuite ajouté: «Je suis très sensible à la dynamique canadienne actuelle et je n’attise pas la question de l’unité» nationale.

David Eby, premier ministre néo-démocrate de la Colombie-Britannique, a déclaré que la discussion de lundi était «fondée sur nos préoccupations communes concernant le coût de la vie (…) et l’équité».

M. Eby a toutefois tenu à souligner l’impact du changement climatique, en attirant l’attention sur le fait que sa province avait dépensé 1 milliard de dollars pour lutter contre les incendies de forêt jusqu’à présent cette année. Un autre milliard de dollars a été consacré à la prévention des inondations. Et il a rappelé lors de la conférence de presse de clôture qu’un «dôme thermique» avait fait des centaines de morts dans la province au cours de l’été 2021, lorsque les températures ont dépassé les 40°C.

«Pour nous, la taxe (provinciale) sur le carbone est un mécanisme efficace pour réduire la pollution par le carbone depuis 2017, et nos émissions ont diminué malgré une augmentation spectaculaire de la population», a-t-il rappelé.

Le premier ministre du Nouveau-Brunswick, Blaine Higgs, a déclaré de son côté que la suspension de la tarification sur le mazout devrait être étendue à tous les types de combustibles de chauffage — et il a réitéré son opposition à la tarification du carbone en général.

Le premier ministre de la Nouvelle-Écosse, Tim Houston, était d’accord. «Il existe des moyens bien plus efficaces de protéger la planète, a-t-il déclaré. Je pense qu’ils devraient se débarrasser de la taxe carbone et travailler avec nous sur d’autres initiatives.»

Dans leur communiqué commun publié après leur rencontre à Halifax, les premiers ministres ont également demandé à M. Trudeau de convoquer une conférence fédérale-provinciale «en personne», ce qui ne s’est pas produit depuis 2018, malgré les demandes répétées des provinces.

Cette rencontre fédérale-provinciale devrait être consacrée à la compétitivité et aux infrastructures stratégiques, écrivent les premiers ministres. Ils «s’attendent à ce que le gouvernement fédéral accorde systématiquement un financement pour le fonctionnement des projets dans lesquels ils investissent, et ce, tout en respectant les champs de compétence des provinces et des territoires».

Pas de traduction simultanée pour le ministre Roberge

Le ministre Roberge a souligné en conférence de presse de clôture, en français, que les provinces voulaient rappeler au gouvernement fédéral «de respecter les champs de compétence, de privilégier les ententes bilatérales et de travailler en collaboration avec une grande flexibilité».

«Je pense que c’est la manière gagnante de travailler, et on s’est entendu à ce sujet-là», a-t-il conclu.

Lorsque la première ministre albertaine a fait remarquer que la traduction simultanée n’avait pas fonctionné pendant la déclaration du ministre québécois, M. Roberge a répondu, en anglais: «Le Canada devrait être un pays bilingue, alors je crois qu’il est normal que je puisse parler en français au Conseil de la fédération.»