Une étude révèle l’inaction du personnel soignant face à l’exploitation sexuelle

MONTRÉAL — Une récente étude menée auprès de survivantes de traite de personne et d’exploitation sexuelle semble démontrer que les professionnels de la santé en première ligne ferment les yeux sur leur condition ou ne se rendent compte de rien. Pourtant, les soins de santé offriraient une rare opportunité de rejoindre ces victimes trop souvent invisibles.

Dans l’article «Sex trafficking survivors’ experiences with the healthcare system during exploitation», publié dans PLOS One à la fin du mois dernier, des chercheurs de l’Université McGill racontent les interactions de sept survivantes d’exploitation sexuelle avec le réseau de la santé.

L’autrice principale, l’infirmière Johane Lorvinsky, a effectué ce travail de recherche dans le cadre de ses études de maîtrise. Constatant que les victimes de traite de personne et d’exploitation sexuelle subissaient des sévices et étaient sujettes à contracter diverses infections, elle a cherché à savoir comment se déroulaient leurs interactions avec les professionnels de la santé.

Elle constate alors que partout dans le monde, on observe un phénomène semblable, c’est-à-dire que les victimes d’exploitation sexuelle ne sont pas identifiées par les professionnels de la santé qui les soignent.

Johane Lorvinsky a donc échangé avec sept personnes ayant bénéficié du programme «Les Survivantes» du Service de police de la Ville de Montréal. Il en est ressorti une foule de récits où ces gens auraient pu saisir une main tendue pour se sortir de l’emprise de leur bourreau, mais personne ne leur tend la main.

Dans l’étude, on peut lire que des victimes montraient des signes évidents de maltraitance ou de violence sexuelle comme des brûlures de cigarette ou des ecchymoses, qu’elles avaient un comportement étrange avec un niveau élevé d’anxiété, qu’elles devaient constamment envoyer des messages texte ou encore qu’elles racontaient des histoires incompatibles avec la nature de leurs blessures. S’ajoutent à cela d’autres signaux comme le refus de certains tests ou la présence d’un accompagnateur un peu trop insistant.

«Individuellement, chacun de ces signes peut être insuffisant pour indiquer la traite de personnes, mais réunis ensemble, ils doivent déclencher une alarme», écrit la chercheuse qui cosigne l’étude avec trois collègues. 

Un manque de sensibilisation concernant les mécanismes de l’exploitation sexuelle pourrait en partie expliquer l’inaction des professionnels de la santé. On souligne également l’influence des préjugés, incluant la présomption que les travailleuses du sexe le font toutes par choix.

Loin de vouloir jeter la pierre à ses collègues, Johane Lorvinsky veut plutôt répandre le message que «la plupart des barrières, des obstacles à l’identification de ces femmes-là, sont toutes modifiables», insiste-t-elle en entrevue à La Presse Canadienne.

Elle estime qu’avec davantage de formation sur la réalité des personnes victimes d’exploitation, les infirmières, médecins et autres intervenants du réseau de la santé seraient mieux outillés pour les reconnaître et pour leur tendre la main.

«L’éducation, ça peut enlever les jugements inconscients, les biais inconscients ou conscients qu’on peut avoir. On peut faire comprendre aux professionnels de la santé comment le lien de confiance est tellement important pour ces femmes-là parce qu’elles n’en ont pas dans leur vie», explique l’infirmière qui pratique au Nunavik.

Évidemment, ce ne sont pas toutes les victimes qui sont prêtes à franchir le pas et à saisir l’opportunité qu’on leur présente, mais il faut tenter le coup selon Mme Lorvinsky. Selon les témoignages recueillis, plusieurs victimes ne savent même pas qu’elles sont exploitées pendant qu’elles sont sous l’emprise d’un individu. Or, si elles tissent un lien de confiance avec le personnel de la santé, elles seront plus à l’aise de se confier au moment voulu.

«Si c’est bien géré, si elles sont bien prises en charge à ce moment-là, c’est sûr qu’elles vont continuer, d’abord à avoir cette confiance-là, puis à revenir parce que le but ce n’est pas nécessairement qu’elles sortent de leur situation, mais qu’elles soient aidées», développe-t-elle.

De manière générale, Mme Lorvinsky suggère d’aborder la situation sans jugement en posant diverses questions sur le contexte de travail de la patiente. Sur les conditions dans lesquelles elle évolue afin de savoir si elle est en sécurité, si elle subit des violences.

«Il faut s’intéresser à leurs conditions de vie. Questionner l’aspect psychosocial et pas seulement regarder leur condition physique du moment», poursuit-elle.

Empruntant les mots d’une survivante ayant accepté de se confier à elle, Johane Lorvinsky répète aux professionnels de la santé que «l’important c’est de poser la question» et pas de craindre la réaction de la patiente. 

«Si elle décide de répondre, c’est merveilleux. Si elle décide de ne pas répondre, au moins tu auras posé la question», résume-t-elle. Et si un doute persiste, on peut toujours fournir des ressources à la patiente qui décidera bien de s’en prévaloir ou non.

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