Affichage commercial en français: le gouvernement Biden a des «préoccupations»

MONTRÉAL — Le projet de règlement sur la langue d’affichage commercial au Québec a des échos jusqu’à Washington. Le gouvernement américain a partagé ses préoccupations avec le gouvernement fédéral, plus tôt cette semaine. 

L’administration Biden a exprimé ses préoccupations, mercredi, dans le cadre d’une rencontre entre hauts fonctionnaires des deux pays. 

Les États-Unis ont «partagé leurs préoccupations à propos des dispositions de la loi 96 sur l’affichage commercial et leurs potentielles conséquences pour les entreprises américaines, incluant les petites et moyennes entreprises», écrit le Bureau du représentant américain au commerce, dans un bref communiqué résumant les sujets discutés durant la rencontre. 

Le Bureau n’a pas précisé quelles étaient ses préoccupations et n’a pas répondu à nos questions envoyées vendredi en avant-midi. 

Les commerces ayant pignon sur rue au Québec ont jusqu’au 1er juin 2025 pour que le français occupe un espace «deux fois plus grand» sur leur vitrine, selon un projet de règlement publié dans la Gazette officielle du gouvernement du Québec, le 10 janvier. 

Ce projet de règlement vient préciser l’application de certaines dispositions de la loi 14 (plus connue sous le nom de projet de loi 96). Il fait encore l’objet de consultations jusqu’à la fin février. 

Derrière son langage diplomatique, l’administration Biden vient d’envoyer «un signal», souligne Michel Rochette, président du Conseil canadien du commerce de détail (CCCD) pour le Québec. «Il faut comprendre qu’il y a une inquiétude du côté américain et on doit l’adresser cette crainte-là.»

Les règles sur l’affichage commercial soulèvent bien des inquiétudes, constate Eliane Ellbogen, avocate en droit de la propriété intellectuelle du cabinet Fasken à Montréal. 

«Depuis un an et demi, on se fait contacter quasiment tous les jours avec des questions, surtout les plus petites et moyennes entreprises. (…) On fait face à beaucoup d’incompréhension, honnêtement, et de surprise, par rapport aux critères qui leur paraissent ultra-exigeants.»

Le projet de règlement sur l’affichage commercial pourrait entraîner d’importantes dépenses et démarches administratives pour les commerces qui devront modifier leurs enseignes, souligne Mme Ellbogen. 

«Par exemple de faire toute l’analyse à savoir s’il faut faire un changement de marque, explique l’avocate. Est-ce qu’il faut changer l’enseigne? Dans de nombreux cas, il faut justement mettre à jour l’enseigne pour s’assurer de respecter le critère de la nette prédominance du français.»

Plus tôt ce mois-ci, le gouvernement Legault a affirmé que la majorité des entreprises étaient déjà conformes aux nouveaux critères sur l’affichage commercial. Québec estime que le coût total pour se conformer au règlement sera d’entre 7 millions $ et 15 millions $, pour l’ensemble des entreprises. 

Cette estimation est toutefois mise en doute par l’industrie. «Ce qu’on nous dit, c’est que ça peut être environ 50 000 $ à 100 000 $ par enseigne, rapporte Mme Ellbogen. Pour un détaillant qui aurait juste une dizaine de succursales, ça pourrait représenter un coût d’un million.»

D’ailleurs, Fasken «explore la possibilité» de contester des dispositions sur l’affichage commercial devant les tribunaux, affirme Mme Ellbogen. L’argument analysé serait que les dispositions sur l’affichage commercial de la loi québécoise entreraient en conflit avec le droit fédéral des marques et que le droit fédéral serait prépondérant, dans ce cas. 

Les détaillants ont jusqu’à juin 2025 pour se conformer à la loi. L’industrie juge le délai «très serré», souligne M. Rochette. Si le projet de loi 96 a été adopté en 2022, les précisions du projet de règlement, pour leur part, ne sont sur la table que depuis quelques jours. 

«Il y a deux ans, on disait qu’ils auraient trois ans pour s’adapter, ce qui n’est pas tout à fait exact, nuance le porte-voix de l’industrie. Le compte à rebours est déjà commencé, mais on ne connaît pas encore les règles du jeu.»

Dans l’attente, les commerçants ne peuvent pas entreprendre de démarches coûteuses avant d’avoir la confirmation que le règlement sera adopté tel quel. «Les commerçants doivent attendre la mouture finale pour être sûrs d’être fidèles et de respecter les règles», souligne M. Rochette. 

À Québec, le ministre de la Langue française, Jean-François Roberge, répond que le français «sera toujours vulnérable au Québec» et qu’une intervention était nécessaire. 

On assure que l’Office québécois de la langue française (OQLF) va «offrir un accompagnement de qualité aux entreprises qui ont des questions à propos du droit linguistique québécois». «Notre gouvernement fait la preuve constante qu’au Québec, on peut défendre le français et offrir un environnement accueillant pour les entreprises», réagit le ministre dans une déclaration écrite.