Indépendance des juges: le Barreau déplore les propos de Legault

QUÉBEC — Au tour du Barreau du Québec de condamner les propos de François Legault pour avoir remis en doute «l’indépendance des juges en raison de leur mode de nomination» qui relève du fédéral.

Après le Parti libéral (PLQ) jeudi, l’ordre professionnel des avocats a ainsi réagi vendredi aux déclarations du premier ministre qui s’attaquent à «l’impartialité des tribunaux». 

L’organisme Droits collectifs Québec a toutefois pris la défense du gouvernement en évoquant des «épisodes de militantisme politique des juges».

L’enjeu de fond: le gouvernement caquiste contestera en Cour suprême une décision de la Cour d’appel qui l’oblige à donner des services de garde subventionnés aux enfants des demandeurs d’asile munis d’un permis de travail.

Le gouvernement plaide qu’il veut d’abord offrir le service aux citoyens québécois, mais le Parti québécois (PQ) estime que tous les enfants devraient y avoir accès. Il manque déjà près de 37 000 places dans les services de garde subventionnés.

À la période de questions jeudi, le chef caquiste a accusé son adversaire péquiste Paul St-Pierre Plamondon de faire davantage confiance à la Cour d’appel, dont les juges sont nommés par le fédéral, qu’au gouvernement du Québec. 

«Il sait que les juges de la Cour d’appel sont nommés par le gouvernement fédéral puis il dit qu’il a plus confiance à la Cour d’appel qu’au gouvernement du Québec pour décider si on est obligé ou non de donner des services de garderies subventionnées», avait-il lancé. 

«C’est incroyable. Incroyable, c’est le chef du PQ qui est actuellement, pas à genoux, à plat ventre devant le fédéral», a-t-il poursuivi, rappelant ainsi qu’il était courant chez les chefs du PQ autrefois d’accuser la Cour suprême du Canada de partialité. 

L’opposition officielle libérale avait tout de suite qualifié ses propos d’«irresponsables» parce qu’il remettait en cause l’impartialité de la magistrature. 

«Inacceptable»

Dans un message diffusé vendredi sur le réseau X, anciennement Twitter, le Barreau «déplore les propos du premier ministre François Legault mettant en doute l’indépendance des juges en raison de leur mode de nomination», lit-on.

Le Barreau reconnaît qu’il est légitime d’être en désaccord avec une décision d’un tribunal et d’en débattre, «mais il est inacceptable d’attaquer l’impartialité et l’indépendance des tribunaux en insinuant qu’ils pourraient dépendre d’un palier gouvernemental».

Enfin, l’organisme soutient que les élus «ont le devoir de participer à la protection de nos institutions judiciaires et démocratiques dans le but de préserver la confiance du public». 

Ironiquement, pas plus tard que mardi, le ministre de la Justice du gouvernement caquiste, Simon Jolin-Barrette, évoquait que «la confiance envers le système de justice s’effrite» pour justifier le dépôt de son projet de loi 54, visant à réduire les délais judiciaires.

La Presse Canadienne a adressé une demande d’entrevue au Conseil canadien de la magistrature qui est restée sans réponse.

À la défense du gouvernement 

L’organisme Droits collectifs Québec a toutefois sauté dans la mêlée pour défendre François Legault. Dans un communiqué, l’organisme a même reproché au Barreau de faire du «militantisme juridico-politique». 

Le directeur de l’organisme, l’ancien député péquiste Etienne-Alexis Boucher, soutient qu’il est tout à fait normal de se questionner sur les allégeances des juges nommés par Ottawa. 

«Est-il vraiment déraisonnable et inacceptable de mettre en doute que le processus de nomination des juges aux tribunaux supérieurs par le fédéral ait une tendance naturelle à favoriser les candidatures qui partagent et épousent les grandes vues politiques de l’appareil fédéral?»

M. Boucher dit qu’il ne remet pas en cause la probité des magistrats, mais il ajoute qu’il est «difficile de ne pas avoir de doutes quant à la présence d’un biais politique dans le processus de sélection en amont qui aurait pour effet d’avantager systématiquement les candidatures favorables aux orientations idéologiques du pouvoir central pour pourvoir les rangs de la magistrature de nomination fédérale».

Débouté en Cour d’appel

Rappelons que le 7 février dernier, le gouvernement du Québec a été débouté par la Cour d’appel qui a jugé que les demandeurs d’asile détenant un permis de travail pouvaient bel et bien confier leurs enfants à un service de garde subventionné.

Le tribunal a statué que le règlement du gouvernement, qui prive les demandeurs d’asile de services de garde subventionnés, est discriminatoire envers les femmes et contrevient à la Charte canadienne des droits et libertés.

Le gouvernement a fait savoir qu’il s’oppose à ce jugement et entend se rendre jusqu’en Cour suprême pour empêcher les enfants de demandeurs d’asile d’avoir accès aux Centres de la petite enfance (CPE) et garderies subventionnées de la province.

«Tant qu’on n’est pas capable d’offrir les services de garde subventionnés à tous les Québécois, on doit d’abord les offrir aux citoyens québécois», a argué M. Legault jeudi en mêlée de presse. 

Pour sa part, le PQ affirme plutôt qu’il faut «offrir une place à tous les enfants, peu importe leur statut».