Les galas sont-ils un anachronisme dans le nouveau contexte médiatique?

MONTRÉAL — À l’ère où les diffuseurs et les producteurs retirent de plus en plus leurs billes des galas, certains se demandent si ces événements très populaires associés à l’âge d’or de la télévision ont encore leur place.

À l’instar d’Hollywood, une profonde remise en question des galas s’est faite au Québec dans les dernières années: TVA a abandonné le gala Artis, Radio-Canada a laissé tomber le Gala Québec Cinéma (qui s’est finalement retrouvé chez Noovo) et le populaire animateur du gala de l’ADISQ Louis-José Houde a tiré sa révérence. 

L’animatrice Véronique Cloutier, qui a une longue feuille de route comme participante et animatrice de ces galas, comprend les critiques de ces soirées, où «des vedettes qui ont déjà beaucoup de reconnaissance et qui, pour une bonne partie, gagnent bien leur vie, se mettent chics et se donnent des tapes dans le dos».

Mais selon elle, tant que le public est au rendez-vous, ces galas restent pertinents.

«Faut pas le voir comme une représentation absolue d’une industrie, c’est d’abord pour plaire au public qui regarde à la télé», a-t-elle indiqué en entrevue téléphonique avec La Presse Canadienne.

«Mais le public doit regarder le gala, parce que sinon, il n’a plus sa raison d’exister», ajoute-t-elle.

Véronique Cloutier, particulièrement en verve lorsqu’il est question de télévision, reconnaît qu’une réflexion est nécessaire, mais souligne qu’il ne faut pas perdre de vue que de tels événements suscitent nécessairement du mécontentement – notamment chez les producteurs – car il y a des gagnants et des perdants.

«Par contre, est-ce qu’on peut améliorer le processus de vote pour qu’il soit plus juste et équitable aux yeux de tout le monde? Probablement. Mais c’est un immense travail auquel je ne voudrais pas, moi, m’attaquer», a-t-elle lancé en éclatant de rire.

Un contexte profondément différent

Mais tandis que la télévision traverse une crise existentielle, le public des galas sera-t-il toujours au rendez-vous?

«C’est un produit télévisuel, je pense que c’est ça qu’il ne faut pas oublier», a suggéré en entrevue Line Grenier, professeure titulaire au Département de communications de l’Université de Montréal.

Selon Mme Grenier, les galas dans leur forme traditionnelle ne sont peut-être plus appropriés, car le contexte a profondément changé depuis leur conception: la démographie est plus diversifiée, les réseaux sociaux sont omniprésents, et surtout, le secteur de la télévision est en crise depuis plusieurs années. 

«Ça appelle à réinventer des façons de faire. Il n’y a pas toujours eu des galas», a-t-elle rappelé.

Mme Grenier souligne que selon son expérience à l’université, les jeunes écoutent très peu les galas à la télévision, mais ils apprennent les gagnants sur les réseaux sociaux, et ils ont suivi toutes les nouvelles sur le décès de Karl Tremblay. D’après elle, c’est un indice que le format des galas devra être impérativement réimaginé pour s’adapter.

«Le gala en tant que tel, c’est-à-dire un moment de valorisation, de célébration des personnes, des entreprises, des organisations, des produits culturels, ça je ne suis pas certaine que c’est appelé à disparaître», a-t-elle nuancé.

Un effet «incroyable des galas»

Pour l’ADISQ (Association québécoise de l’industrie du disque, du spectacle et de la vidéo), les galas revêtent encore une importance, d’après sa directrice générale Eve Paré.

«On voit qu’il y a un effet incroyable sur l’augmentation des écoutes en ligne suite au gala», a-t-elle soutenu en entrevue téléphonique.

«Pour les artistes qui sont un petit peu moins connus, ça leur donne un « boost ». On voit en moyenne les écoutes augmenter d’environ 40 % suite à la diffusion du gala.»

Mme Paré indique que le rendez-vous télévisuel suscite encore de l’engouement, mais ce qui n’exclut pas non plus une réflexion sur la façon de «faire vivre le gala au-delà de la cérémonie du début novembre».

«Chaque année, on se questionne, on le fait évoluer progressivement, mais de là à remettre complètement en question le gala, on en est pas là», a-t-elle expliqué.

Stratégie plus efficace de promotion

Marc Pichette, premier directeur de la promotion et des relations publiques à Radio-Canada, a confirmé dans un courriel que le diffuseur public présenterait trois galas en 2024: celui des Olivier, des Gémeaux et de l’ADISQ. 

Invité à expliquer la réflexion de Radio-Canada sur l’avenir des galas, à la lumière de sa décision, par exemple, d’abandonner le Gala Québec Cinéma, il a offert cette réponse: «Partout dans le monde, on constate que les galas, même les plus prestigieux, n’ont plus le même pouvoir d’attraction qu’il y a 10 ou 20 ans. Mais le volume de l’auditoire n’est pas le seul facteur à considérer», a-t-il déclaré par écrit.

«Radio-Canada a choisi de ne plus diffuser le gala Québec Cinéma parce que nous sommes persuadés qu’une émission spéciale de variétés axée sur les productions en cours et une visibilité accrue dans nos émissions de variété constituent une stratégie plus efficace pour faire la promotion du cinéma d’ici qui est notre objectif premier.»

Hélène Messier, présidente et directrice générale de l’Association québécoise de la production médiatique (AQPM), estime pour sa part qu’il est encore très important de «célébrer la télévision et le cinéma».

«Des fois, c’est le mode de votation qui est à revoir ou à rediscuter avec les gens de l’industrie, mais pour moi c’est important de maintenir ce rendez-vous et cette fête avec le grand public», a-t-elle indiqué.

– Avec les informations de Jean-Philippe Angers